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Tiktok fermé : L’État condamné​

Fermeture de Tiktok pour « circonstances exceptionnelles »

Le 1er avril dernier[i], le Conseil d’État a reconnu la possibilité pour le gouvernement d’ordonner, sous certaines conditions, la fermeture d’un réseau social comme Tiktok.

Il ne s’agit pas d’un poisson d’avril mais bien d’une décision rendue par le Conseil d’État à propos de la fermeture de TikTok en Nouvelle-Calédonie.

Cette fermeture avait été ordonnée en mai 2024 par Gabriel Attal, alors Premier ministre, à la suite des graves émeutes survenues sur l’île avec plus de 6 morts, 170 blessés et d’importants dégâts matériels.

Des calédoniens s’étaient révoltés contre un projet de loi visant à élargir le corps électoral local.

Pour faire face à ces émeutes, le premier ministre avait alors ordonné la fermeture de TIKTOK pour éviter la diffusion de contenus violents.

Dans la foulée de cette décision, plusieurs associations dont la Quadrature du Net et la ligue des droits de l’homme avait saisis le juge des référés

Mais celui-ci avait rejeté leur requête pour défaut d’urgence.

L’affaire est donc revenue cette fois au fond devant le Conseil d’Etat, lequel a considéré que la fermeture de Tiktok pouvait être justifiée par la théorie des « circonstances exceptionnelles »

Mais qu’il fallait que 3 conditions soient remplies :

  • Premièrement la nécessité de faire face à des événements d’une particulière gravité ;
  • Deuxièmement l’impossibilité d’adopter des mesures techniques alternatives moins attentatoires aux droits ;
  • Troisièmement une limitation de la durée de l’interruption au temps nécessaire à l’adoption de ces mesures alternatives.

 

Or en l’espèce le Conseil d’Etat a considéré que le premier ministre n’avait pas rempli cette dernière condition parce qu’il n’avait pas fixé une durée déterminée pour la fermeture du réseau :

« La décision attaquée procède à une interruption totale du service pour une durée indéterminée, liée seulement à la persistance des troubles à l’ordre public, sans subordonner son maintien à l’impossibilité de mettre en oeuvre des mesures alternatives. » (Décision du Conseil d’Etat, 1er avril 2025)

Le Conseil d’Etat a donc annulé la décision du 1er ministre pour atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et à la liberté d’accès à l’information.

Cette affaire est intéressante parce qu’elle montre que la théorie des circonstances exceptionnelles peut justifier la fermeture d’un réseau social même en dehors du cadre de l’état d’urgence.

La notion de circonstances exceptionnelles est en effet un régime d’exception comparable à celui de l’Etat d’urgence mais les 2 ne se confondent pas.

Pour l’Etat d’urgence, il existe une loi qui date de 1955 mais dans le cas des « circonstances exceptionnelles », il n’existe pas de loi.

C’est le conseil d’Etat qui a crée cette notion pour valider les décisions prises par l’administration, hors de tous champ légal, en cas de grave crise comme la guerre, ou les catastrophes naturelles.

D’après la loi sur l’Etat d’urgence qui a été modifiée en 2015[ii], seul le ministre de l’Intérieur peut ordonner la fermeture d’un site dans le cas de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme :

Article 11 II. – Le ministre de l’Intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie.

Or cette qualification de terrorisme, n’avait pas été retenue pour les émeutes en Nouvelle-Calédonie.

Cette fermeture ne pouvait en conséquence qu’être justifiée par la théorie des circonstances exceptionnelles.

La décision du conseil d’État est donc en demi-teinte puisque, d’un côté, elle reconnaît la possibilité d’utiliser la théorie des circonstances exceptionnelles pour fermer un site, mais de l’autre, elle annule la décision du 1er ministre pour manquement à certaines conditions.

Cette décision est juridiquement intéressante mais il ne faudrait pas qu’elle ouvre d’une certaine manière la boîte de pandore, et qu’elle permette de graves atteintes à nos droits et libertés fondamentales. 

A défaut d’être un poisson d’avril, il ne faudrait pas que cette décision soit un véritable poison d’avril.

Et vous qu’en pensez-vous ?

Faut-il permettre à l’administration, au gouvernement de fermer l’accès à une plate-forme, un réseau social, même en cas de circonstances exceptionnelles ?

[i] https://www.conseil-etat.fr/actualites/en-cas-de-circonstances-exceptionnelles-le-gouvernement-peut-interrompre-provisoirement-l-acces-a-un-reseau-social-mais-sous-conditions

[ii] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000695350