La protection de la réputation

 

De tout temps, on veille à ce que sa réputation ne soit pas salie. Au XIVème siècle, Léonard de Vinci disait déjà : “Rien n’est plus à craindre qu’une réputation entachée”. Il venait alors d’être accusé par une personne anonyme pour dénoncer son homosexualité. A son époque, les dénonciations s’effectuaient en déposant des lettres anonymes dans des boites aux lettres appelées « Tamburo ».

Aujourd’hui les accusations sont directement diffusées par internet. Avec le développement des réseaux sociaux, la préservation de sa réputation est devenue un enjeu majeur. L’Internet a multiplié les moyens de s’exprimer sur la toile, avec une puissance inégalée.

A la différence des autres médias, l’Internet est accessible par tous, sans limitation d’espace, et de temps. L’impact de l’Internet sur notre réputation est donc indéniable, exceptionnelle.

 

  • Qu’est-ce que la réputation ?

Selon le dictionnaire Larousse, la réputation est : « La manière dont quelqu’un, quelque chose est connu, considéré dans un public : Il a la réputation d’être honnête. »

Le mot « réputation » vient du latin « reputatio » qui signifie « compte, évaluation ».

La réputation est relative à l’évaluation d’une personne ou d’une chose par quelqu’un.

La réputation est, par conséquent, ce que les autres rendent compte, disent de vous, d’un produit ou d’un service.

En bien ou en mal.

A l’ère d’internet, cette évaluation prend souvent la forme d’avis de consommateurs.

Ces avis sont souvent anonymes. Ce qui conduit à des dérives.

Selon un sondage de l’IFOP réalisé en 2019[1], 49% des Français estiment qu’un individu a le droit de dire publiquement sur les réseaux sociaux tout ce qu’il veut au sujet d’une marque, d’une entreprise, ou même d’un dirigeant d’entreprise.

Par ailleurs, de plus en plus de consommateurs émettent des avis en ligne sur leur expérience de consommation.

Selon le même sondage, 55% des Français ont publié un avis sur des entreprises, des marques ou des dirigeants d’entreprise dans les 12 derniers mois.

 

  • L’impact de l’e-réputation

Ces avis jouent un rôle primordial dans le comportement des consommateurs. En effet, en 2014[2], un autre sondage de l’Ifop sur « L’impact de l’e-réputation sur le processus d’achat » révélait que 88% des individus consultent des avis de consommateurs avant de réaliser un achat et que 30% des internautes renoncent à l’achat s’ils trouvent une majorité d’avis clients négatifs.

Selon une étude internationale de BrightLocal de 2019[3], les consommateurs passent en moyenne 13 minutes et 45 secondes à consulter les avis d’une entreprise avant de se décider et le consommateur moyen a besoin de consulter une dizaine d’avis avant de pouvoir faire confiance à une entreprise.

La réputation de l’entreprise est donc attentivement évaluée au travers de l’avis des précédents consommateurs, puisque le même organisme affirmait en 2014 que les consommateurs dépensent 31% en plus si la note de l’entreprise est “excellente” et en 2019 que seulement 53% d’entre eux pourront avoir recours aux services d’une entreprise qui a moins de 4 étoiles sur 5.

Mais la question de la réputation ne s’arrête pas aux entreprises.

Toute personne peut être évaluée, notée sur internet.

Avec Internet, la protection de la réputation est donc devenue un enjeu majeur.

 

  • Définition juridique

Sur le plan juridique, il n’existe pas vraiment de définition de la réputation.

Le mot réputation est parfois employé par le législateur et par la jurisprudence.

 

– Le législateur :

D’une part, le terme de réputation est utilisé de manière très générale pour limiter la liberté d’expression à l’article 10 §2 de la Convention EDH :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (…).

  1. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

D’autre part, le législateur utilise la notion de réputation de manière très spécifique :

  • Pour justifier le droit de réponse en cas d’atteinte à la réputation :
    • Dans la presse écrite ou audiovisuelle : article 80 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés
    • Dans le cadre d’une activité de communication audiovisuelle : Article 6 de la loi du 29 juillet 1982
    • Au bénéfice des associations militant contre l’esclavage et le racisme : article 13-1 de la loi du 29 juillet 1881
  • Pour limiter les droits d’un nouveau titulaire de droits :
    • Pour les droits de modification d’un logiciel cédé : article L. 121-7 du CPI
    • Pour les droits de modification d’une œuvre créée par un agent dans l’exercice de ses fonctions ou sous instructions : article L.121-7-1 al.2 du CPI
    • Pour les droits de représentation et de reproduction des livres indisponibles : article L.134-4 du CPI
  • Pour limiter le libre choix d’un nom de domaine : article R. 20-44-46 du CPCE
  • Pour justifier une rupture de contrat de travail sans préavis à l’initiative du journaliste salarié : article L. 7112-5 du Code du travail
  • Pour s’opposer à l’enregistrement d’une marque : article L. 643-3-1 du Code rural et de la pêche maritime
  • Pour limiter les propos, actes et comportements des experts fonciers et agricoles, et forestiers : article R.172-6 du Code rural et de la pêche maritime
  • Pour limiter le champ des activités des établissements de paiement : article L. 522-3 du Code Monétaire et Financier
  • Pour assurer une égalité de traitement en matière de santé : article R. 4312-11 du Code de la santé publique

 

– La jurisprudence :

Dans son aspect jurisprudentiel, le terme de réputation est utilisé :

  • Comme élément constitutif de la diffamation :

La réputation est parfois utilisée comme élément caractérisant l’infraction de diffamation (Cour d’appel de Paris, Chambre 7, 14 Octobre 1981 ; Cour d’appel de Paris, Chambre 1 section A, 27 Juin 1990.)

Son atteinte est alors soumise au régime de la loi de 1881, ce qui est contrôlé strictement par les juges (Cass. 1re civ., 25 nov. 2010, n° 09-15.996 ; Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-18.520)

 

  • Comme élément constitutif du dénigrement :

La réputation est parfois utilisée comme élément constitutif du dénigrement (Cour de cassation, Chambre sociale, 14 Mai 1998 – n° 96-43.197 ; Cour d’appel de Versailles, Chambre 1 section 2, 3 Décembre 1999 ; Cour d’appel de Versailles, 12e chambre, 18 juin 2019, n° 18/0279).

Comme l’a d’ailleurs très justement admis la Cour d’appel de Versailles :

« Considérant qu’il est constant que la diffamation vise à atteindre la réputation d’une personne physique ou morale et qu’en revanche, les atteintes à la réputation des produits, des services ou des prestations d’une entreprise relèvent de la concurrence déloyale » (Cour d’appel, Versailles, 14e chambre, 3 Septembre 2008 – n° 07/08047)

 

  • Comme élément constitutif de la vie privée

Selon la Cour Européenne des droits de l’homme, le droit à la protection de la réputation est un droit qui relève, en tant qu’élément de la vie privée, de l’article 8 de la Convention (Chauvy et autres précité, § 70 ; Pfeifer précité, § 35 ; et Polanco Torres et Movilla Polanco c. Espagne, no 34147/06, § 40, 21 septembre 2010).

 

  • Une limite à la liberté d’expression

La protection de la réputation est un droit reconnu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Il s’agit d’un droit qui constitue une limite à la liberté d’expression (article 10 §2 de la Convention EDH)

Comme nous l’avons vu précédemment au travers la jurisprudence, constituent des atteintes à la réputation diverses infractions, fautes : diffamation, dénigrement, atteinte à la vie privée.

Ces dernières constituent le noyau dur des atteintes à la réputation.

Autour de ce noyau dur gravitent d’autres infractions qui peuvent être considérées comme portant atteinte à la réputation de la personne, ou qui y sont plus ou moins liées : chantage, dénonciation calomnieuse, outrage etc…

Ainsi, dans le cadre de cet ouvrage, nous prendrons le terme de réputation dans une acceptation large, en y englobant toute forme d’atteinte à la réputation.

 

  • Une présomption de bonne réputation 

Nous sommes avant toute condamnation présumé innocent, et de bonne foi.

Nous pouvons donc en déduire qu’il existe dans notre droit une présomption de bonne réputation.

Mais cette présomption n’est pas si évidente que cela.

En effet, la présomption d’innocence est un droit fondamental visés par l’article 9 de la DDHC, l’article 6 de la CEDH et l’article 9-1 du code civil.

Mais elle est limitée aux personnes faisant l’objet de poursuites pénales.

En matière civile, il existe une présomption de bonne foi prévue par l’article 2274 du Code civil suivant lequel :

« La bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver ».

Mais ce texte n’est pas d’application générale : il est limité à la matière immobilière.

En revanche, dans notre droit, en principe, c’est celui qui allègue un fait, une faute qui doit la prouver (article 9 du Code de Procédure Civile).

Tout le monde est par principe considéré comme étant un « bon père de famille », une personne raisonnable[4].

Celui qui prétend le contraire doit en apporter la preuve.

Ce qui va dans le sens d’une reconnaissance de présomption de bonne réputation.

La présomption de bonne réputation peut également se déduire du fait qu’une personne qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une autre est présumée de mauvaise foi.

Sauf exception, nous pouvons donc en déduire que nous sommes tous présumés avoir une bonne réputation.

Et c’est à celui qui veut prouver la mauvaise réputation, à la prouver.

Néanmoins cette présomption est limitée.

Comme le dit un proverbe, « une réputation de voleur ne fait pas forcément un cambrioleur. »

La réputation n’a pas la force d’une vérité. Il ne s’agit que d’une présomption simple.

Elle peut être renversée par la preuve contraire.

Cette preuve contraire peut couvrir de nombreuses fautes, infractions qui peuvent de manière directe ou indirecte justifier l’atteinte à la réputation de la personne.

Le droit au respect de la réputation n’est donc pas qu’une simple limite à un droit, à une liberté.

Il s’agit d’un droit en tant que tel et pas des moindres : une présomption.

 

  • Chacun a droit au respect de sa réputation

Le droit au respect de sa réputation est actuellement reconnu comme un droit venant limiter la liberté d’expression.

Mais comme nous l’avons vu précédemment, il existe aussi en tant que présomption.

Il est donc d’un côté défini de manière négative, et de l’autre, potentiellement de manière positive.

De notre point de vue, l’aspect positif de ce droit mérite d’être davantage connu, et reconnu comme un principe de notre droit.

En effet, aujourd’hui, au travers des réseaux sociaux, de l’Internet, la réputation est menacée, fragilisée par des individus le plus souvent anonyme.

Or, la réputation est un des éléments clef de notre identité.

Afin de se protéger contre le fléau des abus sur internet, il est devenu aujourd’hui nécessaire de proclamer que « Chacun a droit au respect de sa réputation ».

 

Arnaud DIMEGLIO

Avocat à la Cour, Docteur en droit, Titulaire des mentions de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, droit des nouvelles technologies, droit de l’informatique et de la communication.
Bureau principal : 8 place St. Côme, 34000 Montpellier,

Bureau secondaire : 10 avenue de l’Opéra, 75001 Paris,
Tel : 04.99.61.04.69, Fax : 04.99.61.08.26

http://www.dimeglio-avocat.com

 

 

[1]   Sondage de l’Ifop pour August & Debouzy et Havas Paris « E-réputation des entreprises », (réalisée en ligne en janvier 2019 auprès d’un échantillon de 1 008 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus) : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/02/E-r%C3%A9putation-entreprises-Ifop-havas-AD.pdf

[2]Sondage de l’Ifop pour Réputation VIP « L’impact de l’e-réputation sur le processus d’achat » (réalisé sur Internet en décembre 2014 auprès d’un échantillon de 1003 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus) : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/03/2968-1-study_file.pdf

[3] 2019 BrightLocal’s annual Local Consumer Review Survey report : https://www.brightlocal.com/research/local-consumer-review-survey/

[4] L’expression « bon père de famille » est une notion traditionnelle de droit civil abandonnée et remplacée par l’adverbe « raisonnablement » par la loi n°2014-873 du 4 août 2014 relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes

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