Wikipédia

Le site Wikipédia accessible à cette adresse : https://fr.wikipedia.org, est l’un des plus consulté au monde (7eme position).

Il est détenu par l’organisation américaine à but non lucratif Wikimedia Foundation.

Les internautes peuvent librement en modifier, ainsi qu’en reproduire le contenu.

Son rayonnement conduit nécessairement à des comportements illicites, dont la preuve peut être difficile à rapporter, en raison du caractère anonyme de ses contributeurs.

WIKIPEDIA a néanmoins l’obligation de détenir les données permettant d’identifier ces personnes.

 

1/Communication des données d’identification

La tendance des tribunaux est de qualifier Wikipédia d’hébergeur (CA Paris, pôle 1 – ch. 8, 18 févr. 2022, n° 20/13824, TJ Paris, 21 déc. 2022, n° 22/55886).

Selon l’article 6 II de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), les hébergeurs doivent détenir et conserver les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création d’un contenu qu’ils hébergent.

Lorsque l’auteur de l’article litigieux est anonyme, Wikipédia peut donc être tenu de communiquer ses données d’identification. La liste des données à détenir est prévue par l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, et le décret n° 2021-1362 du 20 octobre 2021.

La communication des données peut être ordonnée à la suite d’une requête judiciaire, ou d’une action en référé.

Ainsi, dans un jugement en date du 10 juillet 2008, le Tribunal a ordonné à Wikipédia de communiquer l’adresse IP permettant l’identification d’un contributeur. L’article de l’encyclopédie faisait apparaître des propos diffamatoires et injurieux, tels que « gros con, grosse merde » (TGI Nanterre, juge des réf., 10 juill. 2008, n° 08/01490).

Dans un autre procès, le juge des référés a condamné Wikipédia à communiquer l’adresse IP de l’auteur des propos litigieux. Toutefois, le délai de conservation d’1 an étant dépassé, les requérants n’ont pas pu obtenir les coordonnées de l’internaute par la société Free (TGI Paris, 5e ch. 2e sect., 20 janv. 2011, n° 09/18460.)

Une fois les données d’utilisation récupérées, la victime de diffamation ou de dénigrement sur sa page Wikipédia peut agir à l’encontre de l’auteur de cet acte.

Depuis la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, et la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, il est plus difficile d’identifier les auteurs d’infractions, comme des atteintes à la réputation d’une personne.

Dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris, il a été jugé que l’absence d’identification des contributeurs auprès de l’hébergeur, constitutive de l’infraction pénale de l’article 6 VI. 2 de la LCEN, ne justifie pas la communication des données. Au motif qu’il faudrait justifier en outre d’un motif légitime d’agir contre les personnes. CA Paris, pôle 1 – ch. 8, 18 févr. 2022, n° 20/13824.  Or l’infraction de l’article 6 VI. 2 de la LCEN est une infraction autonome. Cet arrêt est donc critiquable.

Dans cette affaire était sollicitée également la condamnation de Wikimedia Foundation à fournir aux éditeurs non professionnels, souhaitant rester anonymes, un dispositif technique permettant de s’identifier conformément aux articles 6 II alinéa 2 et 6 III 2 de la LCEN. Mais la Cour a estimé qu’il s’agissait d’une question nouvelle, et l’a donc écartée. Cette question reste donc à trancher.

La Cour d’appel n’a pas en outre considéré que le blocage de la page de la personne concernée était « manifestement illicite ». D’après nous, elle opère ici un amalgame entre ce dernier critère servant à obtenir la suppression d’un contenu avec le motif légitime de l’article 145 du CPC lequel permet la communication des données.

La QPC relative à l’inconstitutionnalité de la loi du 30 juillet 2021 a en outre été écartée au motif qu’elle ne porterait pas atteinte au principe d’égalité devant la loi, et au droit à un recours effectif. La Cour a estimé en effet qu’il était toujours possible de déposer plainte (contre X ?). Mais le problème n’apparaît pas pour autant réglé : comment identifier l’auteur de l’infraction si l’hébergeur n’est pas condamné à communiquer les données ?

La Cour considère en outre que la victime peut agir sur le fondement de l’article 6 I 8 de la LCEN. Mais si cet article permet d’agir contre l’hébergeur, il ne permet pas d’identifier l’auteur de l’infraction, et le régime de responsabilité n’est pas le même entre les deux. À notre sens, la question de la licéité de la loi du 30 juillet 2021 reste donc à trancher.

L’affaire en date du 21 décembre 2022 ayant donné lieu à la condamnation de Wikipédia à communiquer les données d’identification apparaît, à ce titre, comme une lueur d’espoir. ( TJ Paris, 21 déc. 2022, n° 22/55886)

En plus de se voir potentiellement condamnée à communiquer des données d’identification, Wikipédia peut voir sa responsabilité engagée lorsqu’elle ne supprime pas promptement un contenu manifestement illicite.

 

2/Suppression de contenu illicite

Il est possible de demander à Wikipédia la suppression d’une publication qui porterait atteinte aux droits d’une personne : réputation, dénigrement, diffamation, injure, harcèlement, vie privée, données personnelles etc…

Le requérant doit, tout d’abord, apporter la preuve de cette atteinte.

A défaut, sa demande est rejetée.

Tel est le cas lorsque le constat d’huissier n’établit pas que l’encyclopédie comporte les termes visés dans l’assignation (TGI Paris, réf., 8 déc. 2008, n° 08/59627).

Si l’on veut condamner Wikipédia à supprimer le contenu directement, sans passer par les auteurs, il faut, en outre, démontrer que les propos visés sont manifestement illicites.

Dans une affaire, le Tribunal a pris acte de la suppression par Wikipédia de propos contenus dans la rubrique « vie privée » d’une personne, relatif à ses pratiques sexuelles. Ils portaient manifestement atteinte à la vie privée du demandeur. En revanche, il a considéré que les propos insérés dans la rubrique « controverse » n’avaient pas un caractère manifestement illicite (TGI Paris, réf., 28 sept. 2017, n° 17/57979).

Dans une autre affaire, une astrologue demandait la suppression d’un article Wikipédia portant, selon elle, atteinte à sa réputation. Cet article révélait, en effet, ses prédictions s’étant révélées être fausses. Il a été jugé que les propos n’étaient pas diffamatoires et insultants. Ils relevaient plutôt de la libre critique. Dès lors, le trouble invoqué n’était pas manifestement illicite (CA Paris, 14 juin 2016, n° 15/20204).

Le juge retient la diffamation lorsque les faits sont précis et inexacts.

Dans une affaire, la « fille » de Jacques et de Bernadette Chirac, a poursuivi l’auteur de la modification de sa page Wikipédia. Cette personne indiquait qu’elle avait « abandonné ses trois enfants à la charge de son mari ». Elle ajoutait que « son but était de refaire sa vie avec son second mari et de profiter de son nom d’adoption ». Le tribunal d’Evry a condamné l’auteur de la diffamation à payer 1 500 euros dont 500 euros de dommages et intérêts à la plaignante (Tribunal d’Evry, 8 mars 2013).

Une autre affaire est relative à un ex-journaliste pigiste de France 24, ayant diffamé son ancien chef de service de la chaîne dont il avait modifié la page Wikipédia. Il avait ajouté une faute professionnelle de celui-ci ainsi que deux textes le présentant comme l’auteur d’un acte de censure. La Cour a considéré que le journaliste avait porté atteinte à l’honneur de son ancien supérieur. L’auteur de la diffamation a été condamné à verser au plaignant 1 euro de dommages et intérêts. Il a été condamné en outre à 3 000 euros au titre des frais de justice (Cour d’appel de Paris, 2 juillet 2015).

Dans une autre affaire, un homme avait rajouté des commentaires insultants à chaque paragraphe de la page Wikipédia d’un maire. Il critiquait ses compétences. Il a été condamné à 300 euros d’amende pour « diffamation envers un citoyen chargé d’un service public ». Il a été condamné en outre à verser 500 euros de dommages-intérêts à la victime, au titre de préjudice moral (Tribunal correctionnel de Saint-Brieuc, 16 novembre 2017).

 

3/Formalisme

Selon la loi LCEN, Wikipédia en tant qu’hébergeur n’est responsable du contenu illicite que s’il en avait connaissance, ou si, après notification, il n’a pas agi promptement pour le retirer ou en rendre l’accès impossible.

La notification doit respecter un certain formalisme afin d’informer du mieux possible l’hébergeur du contenu illicite présent sur le site. (article 6-I-5 de la LCEN)

Néanmoins ce formalisme n’est qu’une règle de preuve et non de fond comme nous l’avons déjà souligné :  https://dimeglio-avocat.com/2016/03/11/notification-des-hebergeurs-obligatoire-ou-facultative/

Lorsque le plaignant agit contre Wikipédia, notamment sur le fondement de la diffamation et de l’injure, il doit encore respecter un certain formalisme.

Les requérants doivent tout d’abord agir en justice dans le délai de 3 mois à compter de la publication des propos litigieux. A défaut, leur action est prescrite sur le fondement de l’article 65 de la loi de 1881.

La réapparition d’articles supprimés ne peut s’analyser comme un nouvel acte de publication de nature à faire courir un nouveau délai de prescription (Tribunal Paris, 17e chambre presse – civile, 30 mai 2018, n° 17/06381).

Néanmoins, la Cour de cassation considère que constitue un nouvel acte de publication, interruptif de prescription, le déplacement d’un contenu de l’onglet « historique » vers l’onglet « article » de Wikipédia : Cass. crim., 10 avr. 2018, n° 17-82.814, Publié au bulletin. Editions Chantegrel.

Un autre moyen d’interrompre le délai de prescription est de déposer plainte contre X.

Par ailleurs, ce délai de 3 mois s’applique également au droit de réponse de la personne concernée.

Outre le respect de ce délai, l’assignation doit, à peine de nullité, respecter les conditions énoncées à l’article 53 de la loi de 1881 : TGI de Paris, référé, 28 septembre 2015, n° 15/57276.

A été ainsi jugée nulle, une assignation contre Wikipédia qui ne visait pas les articles 29 al 1, et 32 al 1 de la loi de 1881 : CA Paris, 28 mai 2014, n° 13/01316 SARL XR Diagnostics c/ Association Wikimedia France .

Une autre assignation contre Wikipédia a été annulée pour défaut de notification au Procureur de la République prévue à l’article 55 de la loi : TGI de Paris, 17e chambre presse – civile, 18 mai 2016, n° 15/10959.

Ces affaires illustrent la difficulté d’obtenir judiciairement la condamnation de Wikipédia à supprimer un contenu diffamant ou injurieux. Même spécialisés, les avocats agissant dans ces matières ne sont pas à l’abri d’un vice de procédure.

Il convient cependant de souligner que les plaignants ne sont pas contraints de se tourner exclusivement vers Wikipédia pour demander la suppression d’un contenu.

S’ils sont identifiés, les plaignants peuvent également agir contre les auteurs.

Par ailleurs, diffamation et injure ne sont pas les seules atteintes aux personnes susceptibles d’être commises sur Wikipédia : si certaines qualifications relèvent de la loi de 1881, d’autres y échappent : dénigrement (produits et services), harcèlement, dénonciation calomnieuse, atteinte à la vie privée, traitement de données personnelles (droit à l’oubli), publicité trompeuse etc...

Avant d’identifier les auteurs, et de tenter d’obtenir la suppression de leurs écrits, il est donc important de bien qualifier les propos litigieux.

 

Cordialement,

 

Arnaud DIMEGLIO,

Avocat à la Cour, Docteur en droit, Titulaire des mentions de spécialisation en droit du numérique, de la communication, et de la propriété intellectuelle. Bureau principal : 8 place St. Côme, 34000 Montpellier, Bureau secondaire : 10 avenue de l’Opéra, 75001 Paris, Tel : 04.99.61.04.69, Fax : 04.99.61.08.26

http://www.dimeglio-avocat.com

 

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