Le retour du droit (numérique) !

A propos de l’arrêt de la CJUE, 30 avril 2024, La Quadrature du Net e.a contre Premier ministre et ministère de la Culture, n° C-470/21[1]

À la veille des élections européennes, après tant d’années d’égarement, cet arrêt marque le retour triomphant de notre droit et de notre démocratie.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de préciser ses précédentes jurisprudences, lesquelles avaient profondément affectées notre droit[2].

Dans ce nouvel arrêt, la CJUE vient en effet de reconnaître que la conservation généralisée et indifférenciée des adresses IP par les fournisseurs d’accès à internet ne constitue pas nécessairement une ingérence grave dans les droits fondamentaux des personnes concernées.

Le fait d’utiliser l’adresse IP afin d’identifier l’auteur d’une infraction, peut permettre de faire respecter un droit, en l’espèce le droit d’auteur, et non pas de le « surveiller » comme le prétend l’association la Quadrature du Net !

Cela implique qu’une autorité telle que HADOPI puisse utiliser cette donnée, même lorsqu’il ne s’agit pas d’une infraction grave.

La Cour souligne néanmoins que des conditions doivent être respectées afin de ne pas porter atteinte aux droits des personnes concernées :

  • La conservation par les fournisseurs d’accès des données d’identité, des adresses IP, de trafic et de localisation doit être effectuée de manière séparée et effectivement étanche,
  • Afin que les autorités qui y accèdent ne puissent établir le profil détaillé des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction,
  • Le contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante, en cas de récidive de la personne concernée, de la mise en relation de son identité avec le titre de l’œuvre protégée,
  • Le contrôle du système de traitement de données utilisé par l’autorité par un organisme indépendant ayant la qualité de tiers par rapport à celle-ci afin de vérifier son intégrité, son efficacité et sa fiabilité.

Cet arrêt ne valide pas ainsi « la fin de l’anonymat en ligne » comme le prétend, dans son communiqué, l’association à tendance libertaire. Il marque au contraire le retour du droit après la déconstruction massive à laquelle nous avons assisté ces dernières années.

Cet arrêt n’est pas non plus un « signe très fort lancé aux pays autoritaires » comme le dénonce la fameuse association : Il met fin au risque d’« impunité généralisée » souligné dans ses conclusions par l’Avocat général Szpunar de la CJUE.

Le travail de reconstruction ne fait que commencer. Il va falloir réviser nos lois à la lumière de cette nouvelle jurisprudence.

Afin de mettre fin à notre zone de non droit civil, il faudra ensuite reconnaître la possibilité d’utiliser cette adresse IP même à des fins de procédure civile.

Ce qui n’est plus le cas depuis la loi du 30 juillet 2021 adoptée à la suite des arrêts de la CJUE dont l’arrêt « Quadrature du Net » du 6 octobre 2020[3].

Espérons ainsi que le législateur français tire les conséquences de ce nouvel arrêt et revienne sur cette loi de 2021, ainsi que celle du 2 mars 2022, que nous avons maintes fois dénoncées[4].

Le combat doit ainsi continuer, contre l’anarchie en ligne, pour le respect de nos droits et de nos libertés.

 

Arnaud DIMEGLIO,

Avocat à la Cour, Docteur en droit, Titulaire des mentions de spécialisation en droit du numérique, de la communication, et de la propriété intellectuelle.

Bureau principal : 8 place St. Côme, 34000 Montpellier, Bureau secondaire : 10 avenue de l’Opéra, 75001 Paris,

Tel : 04.99.61.04.69, Fax : 04.99.61.08.26

http://www.dimeglio-avocat.com

 

[1] CJUE, 30 avril 2024, La Quadrature du Net e.a. contre Premier ministre et ministère de la Culture, n° C-470/21 : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=8DABAC25E76A301A73641072AE355A49?text=&docid=285361&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=2347165

[2] Article : La fin du droit numérique ? : https://www.village-justice.com/articles/fin-droit-numerique,48490.html

[3] CJUE, 6 octobre 2020,  La Quadrature du Net e.a. contre :  https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=232084&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=2353632

[4] Outre l’article précité en note 2 « La fin du droit numérique ? », cf. l’article « le renforcement de l’anonymat sur Internet » : https://www.village-justice.com/articles/renforcement-anonymat-sur-internet,40010.html et mes vidéos Youtube correspondantes à chacun de ces 2 articles : https://www.youtube.com/watch?v=_HIwga8yixs et  https://www.youtube.com/watch?v=_HIwga8yixs . Enfin je renvoie à un article écrit en avril 2021, dans lequel je dénonçais déjà le parcours du combattant pour lever l’anonymat. Je proposais quelques solutions : https://dimeglio-avocat.com/2020/08/27/anonymat/. Jamais je n’aurais pu penser que notre droit allait supprimer la possibilité même de faire des identifications.   

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