L’anonymat permet de garantir le droit à la vie privée. Cependant, il crée aussi une certaine insécurité. Comme tout droit, l’anonymat comprend des limites : on ne peut, sous couvert d’anonymat, porter atteinte aux droits et libertés d’autrui.
Vers une nouvelle règlementation de l’anonymat ?
Le 18 janvier 2019, face aux maires, Emmanuel Macron a annoncé vouloir effectuer une « levée progressive de tout anonymat ».
Selon lui, il faut mettre en place un « processus où on sait distinguer le vrai du faux et où on doit savoir d’où les gens parlent et pourquoi ils disent les choses ».
Le 24 janvier 2019, dans une maison de retraite, il confirme : « Je ne veux plus de l’anonymat sur internet. »
En juillet 2020, dans une interview donnée au Parisien, le Premier ministre Jean Castex est sur la même lignée que le Président :
Tout en affirmant être « pour la liberté d’expression », il a indiqué que « C’est un sujet dont il va falloir que l’on s’empare ».
Selon lui, « Si on se cache, les conditions du débat sont faussées ».
L’anonymat est « quelque chose de choquant ».
« On peut vous traiter de tous les noms, de tous les vices, en se cachant derrière des pseudonymes ».
« Dans ces conditions, les réseaux sociaux, c’est le régime de Vichy : personne ne sait qui c’est ! »
Jean Castex a cependant indiqué qu’il ne s’agissait pas là d’une priorité :
« Personnellement, je pense qu’il faudrait réglementer un peu tout cela. Pour autant, pourrais-je le faire maintenant ? Ce n’est pas certain ».
« Si on commence à dire aux gens que l’on va tout faire, ils ne nous croiront pas. »
Devant les parlementaires, Jean Castex évoque également la lâcheté de l’anonymat :
« La France, c’est la République. Et celle-ci aussi se trouve aujourd’hui ébranlée dans ses fondements par la coalition de ces ennemis, terroristes, complotistes, séparatistes, communautaristes, dans les armes habituelles de la violence, dans la rue comme dans l’espace privé, et de la lâcheté souvent garantie par l’anonymat, permettant un recours dévoyé aux réseaux sociaux, ont pris ces dernières années une intensité inquiétante. »
Un droit prévu par la LCEN
- Selon l’article 6 III 2 de la Loi du 21 juin 2004 relative à la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) :
Les personnes éditant à titre non professionnel un service de communication au public en ligne peuvent ne tenir à la disposition du public, pour préserver leur anonymat, que le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse du prestataire mentionné au 2 du I (NR : l’hébergeur), sous réserve de lui avoir communiqué les éléments d’identification personnelle prévus au 1.
Les personnes qui éditent un site internet, un blog, etc., peuvent donc le faire de manière anonyme pourvu qu’elles ne l’éditent pas à titre professionnel, et qu’elles communiquent leur identité à leur hébergeur.
Attention : le seul fait de publier des articles régulièrement peut suffire à emporter la qualification d’éditeur professionnel :
Dans une affaire, il a été par exemple jugé que des responsables d’un blog politique qui postent régulièrement du contenu (17 à 20 publications par mois) ont la qualité d’éditeur professionnel. (TGI de Caen, 1ère ch. civ., jugement du 9 avril 2018)
Les éditeurs professionnels comme les éditeurs non professionnels doivent donc s’identifier.
- Le cas problématique des contributeurs
En revanche, les contributeurs n’ont pas d’obligation de s’identifier.
Selon l’article 6 III de la LCEN :
« II.-Les personnes mentionnées aux 1 et 2 (fournisseurs d’accès et d’hébergement) du I détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires. »
Ces données sont celles prévues par le décret du 25 février 2011.
Les fournisseurs d’accès et d’hébergement doivent donc détenir et conserver les données qui permettent l’identification des contributeurs mais ces derniers n’ont pas à s’identifier auprès de ces derniers.
Or leur contribution peut porter atteinte aux droits d’autrui au même titre que les éditeurs professionnels et les éditeurs non professionnels.
Rien ne justifie par conséquent qu’ils n’aient pas l’obligation de s’identifier auprès des FAI et des FH.
Un droit protégé par la vie privée
Selon la Cour Européenne des droits de l’Homme, la liberté d’expression et la confidentialité des communications sont des préoccupations primordiales.
Les utilisateurs des télécommunications et des services Internet doivent avoir la garantie que leur intimité et leur liberté d’expression seront respectées. (Arrêt CEDH, AFFAIRE K.U. c. FINLANDE, 2 décembre 2008, 2872/02).
Il en résulte que l’anonymat peut être protégé sur le fondement du droit au respect de la vie privée.
Dans une affaire, un homme qui participait régulièrement à un forum de discussion avec un pseudonyme s’est plaint que son identité ait été révélée par un internaute (nom, prénom, ville, adresse e-mail) laquelle était associée à des éléments de sa vie privée. Il demandait à l’hébergeur de supprimer ces informations le concernant.
Il obtient gain de cause sur le fondement de l’article 9 du code civil.
Selon la Cour d’appel de Montpellier :
« La révélation à son insu de l’identité véritable de M. D. sur un forum de discussion où sont utilisés des pseudonymes, associée dans les articles litigieux à des éléments vrais ou supposés de sa vie privée et à des allégations à caractère diffamatoire, est de nature à constituer, dès lors que les pages internet en question sont, grâce aux moteurs de recherches, aisément consultables par tous, une atteinte à l’intimité de sa vie privée, pour laquelle il est en droit de demander en référé par application de l’article 9 du code civil que soient ordonnées des mesures propres à la faire cesser. »
(Cour d’appel de Montpellier 5ème chambre, section A, 15 décembre 2011)
Mais attention, il faut bien que comprendre qu’en l’espèce des éléments de vie privée étaient associés au contenu.
Le seul droit à la liberté d’expression ne justifie pas, ne garantit pas ainsi la protection de l’anonymat.
Lanceurs d’alerte
Certains textes spécifiques protègent l’identité des personnes, ce qui revient à protéger leur anonymat.
C’est le cas par exemple de l’article 9 de la loi Sapin du 9 décembre 2016 relatif à la protection des lanceurs d’alerte.
Le fait de divulguer les éléments d’identité d’un lanceur d’alerte est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
Les textes relatifs au secret professionnel protègent aussi le droit à l’anonymat.
Un droit limité
Le droit à l’anonymat ne peut néanmoins être absolu.
Il ne faut pas en effet que l’anonymat serve à porter atteinte aux droits des tiers, et notamment à leur réputation.
Selon la CEDH, l’anonymat doit parfois s’effacer devant d’autres impératifs légitimes tels que la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales ou la protection des droits et libertés d’autrui.
Elle ajoute que l’anonymat et la confidentialité sur Internet ne doivent pas conduire les États à refuser de protéger les droits des victimes potentielles, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes vulnérables. (Arrêt CEDH, AFFAIRE K.U. c. FINLANDE, 2 décembre 2008, 2872/02)
Ce qui explique que dans notre droit, à côté de l’anonymat, il est prévu des obligations de s’identifier ou la possibilité d’identifier les personnes auteurs de propos rédigés sous pseudonyme :
– Les éditeurs professionnels doivent s’identifier (article 6 III 1 de la LCEN)
– Les éditeurs non professionnels peuvent rester anonymes mais doivent communiquer leurs données d’identification à leur hébergeur (article 6 III 2 de la LCEN)
– Les contributeurs de contenu peuvent enfin être identifiés par l’intermédiaire des fournisseurs d’accès et d’hébergement. (Article 6 II de la LCEN)
Un décret indique quelles données doivent être conservées par les fournisseurs d’accès et d’hébergement : Le Décret n° 2011-219 du 25 février 2011 relatif à la conservation et à la communication des données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu mis en ligne.
En pratique, il est donc possible d’effectuer des actions en justice pour obtenir l’identité des auteurs de contenu diffusés sur Internet.
Il est notamment possible d’agir en référé ou sur requête, ou dans le cadre d’une instruction pénale.
Compte tenu de la technicité de ces actes, il est recommandé de recourir à un avocat afin qu’il rédige l’acte permettant de demander l’identification des personnes concernées.
En pratique
En pratique, il est vrai qu’il est difficile pour les victimes potentielles d’atteinte à leur réputation d’obtenir l’identification des personnes concernées. Il faut tout d’abord généralement qu’elles recourent à un avocat lequel rédigera une requête, ou tout autre acte permettant de demander à l’autorité judiciaire qu’elle autorise la levée de l’anonymat.
Plusieurs requêtes visant les fournisseurs d’hébergement, et les fournisseurs d’accès sont parfois nécessaires pour obtenir ces données.
Ce qui constitue parfois un véritable parcours du combattant, et un coût financier très important pour les victimes sachant que souvent les hébergeurs sont à l’étranger.
Il arrive même que leur requête ou leur action soient rejetées, ou que le délai de conservation des données fixé par le décret de 2011 ait expiré.
L’avocat peut en outre se heurter au fait que les FA/FH tardent à communiquer les données ou qu’ils communiquent les mauvaises données…
Ce qui empêche les requérants d’agir en justice, et donc de faire valoir leur droit le plus élémentaire d’accéder à la justice, et de manière générale, de faire respecter leurs propres droits.
La requête en identification n’est pas en outre interruptive de prescription en matière de diffamation ou d’injure.
Ce n’est peut-être pas tant le droit à l’anonymat qu’il convient par conséquent de réformer que de renforcer les droits et libertés de ceux qui souhaitent identifier les auteurs de propos litigieux.
Quelles mesures ?
Afin de faciliter l’identification des personnes anonymes, il faudrait ainsi :
- Obliger tout contributeur à s’identifier auprès de l’hébergeur (avec possibilité comme pour les éditeurs non professionnels de rester anonyme)
- A défaut d’identification, le contenu peut être supprimé
- Ne pas exiger le recours à une ordonnance rendue sur requête lorsque le contenu est manifestement illicite
- Allonger la durée de conservation des données par les fournisseurs d’hébergement et d’accès
- Contraindre les fournisseurs d’hébergement et d’accès à communiquer ces données dans un certain délai
- Considérer que la requête est interruptive de prescription
- Ne pas exiger la signification de l’ordonnance par voie d’huissier
Arnaud DIMEGLIO
Avocat à la Cour, Docteur en droit, Titulaire des mentions de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, droit des nouvelles technologies, droit de l’informatique et de la communication.
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