Le Street art consiste dans la création d’oeuvre réalisée dans la rue, sous diverses formes : graffiti, sculpture, pochoir etc… Il est parfois qualifié d’éphémère car susceptible d’être détruit notamment par le propriétaire du support (mur, sol). Il se trouve ainsi à la croisée de deux droits : celui de l’auteur de l’œuvre, et celui du propriétaire du support.
I) Les droits de l’auteur
L’auteur d’une création dans la rue peut être protégé par le droit d’auteur, et par l’action en responsabilité civile de droit commun, et notamment en cas de parasitisme, ou de plagiat.
• Le droit d’auteur
Selon le Code de la Propriété Intellectuelle, le droit d’auteur s’applique à « toutes œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». (Article L.112-1 du CPI). Bien qu’il soit né dans la rue, le Street art peut donc être protégé par le droit d’auteur. Pour qu’il puisse bénéficier de cette protection, il convient néanmoins qu’il respecte deux conditions : qu’il soit original, et qu’il soit licite.
L’originalité
Une œuvre originale est « une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci. » (CJUE, 1er décembre 2011, Painer.)
Dans l’affaire « SPACES INVADERS », le Tribunal de Grande Instance de Paris a utilisé plusieurs critères pour apprécier l’originalité d’une création qui se présente sous la forme de carreaux de piscine représentant une créature extraite du jeu vidéo Atari :
– La formalisation de l’idée :
o En l’espèce, transposition de pixel sous forme de carreaux de piscine
– La nature des supports urbains : carreaux scellés dans un mur
– Le choix de l’emplacement de l’œuvre : dans la rue.
Le Tribunal a donc considéré que les « SPACES INVADERS » pouvaient, en raison de leur originalité, être protégés par le droit d’auteur.
En revanche, dans cette affaire, le Tribunal considère que ne présentent pas, un caractère original :
– la déclinaison d’une forme existante (créature du jeu Atari),
– un concept : envahir la planète
– l’anonymat de l’auteur (Tribunal de grande instance de Paris, 14 novembre 2007)
De même, il est couramment admis, que « les idées sont de libre parcours », et qu’elles ne peuvent donc être protégées par le droit d’auteur.
Dans l’affaire Christo, le Tribunal de Grande Instance de Paris a par exemple considéré que l’idée d’emballer un monument comme le Pont Neuf, ou des arbres n’était pas protégeable en tant que telle par le droit d’auteur (Tribunal de grande instance de Paris, 26 mai 1987).
Un artiste ne peut donc prétendre détenir le monopole sur une idée, mais il peut bénéficier du droit d’auteur lorsque la mise en forme, en œuvre, de cette idée est originale.
À supposer que l’œuvre soit originale, il convient ensuite d’examiner sa licéité.
La licéité
Pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur, il convient qu’elle soit licite.
La tendance de la jurisprudence est de distinguer entre les œuvres extrinsèquement illicites, et les œuvres intrinsèquement illicites.
Le fait par exemple de ne pas obtenir l’autorisation du propriétaire d’un mur pour supporter sa création rend l’œuvre extrinsèquement illicite.
Dans ce cas, les tribunaux considèrent que l’œuvre peut être protégée par le droit d’auteur.
Le Tribunal de grande instance de Paris a par exemple reconnu la protection par le droit d’auteur à une mosaïque réalisée par des squatters dans un immeuble qu’ils occupaient sans autorisation. (Tribunal de grande instance de Paris, 13 octobre 2000, M. Aichouba et al. C. M. Lecole).
De même, dans l’affaire Christo, jugée cette fois par la Cour d’appel, les magistrats ont considéré qu’il était « bien inutile que Monsieur CHRISTO justifie des autorisations qu’il a obtenues, personne ne pouvant contester que l’empaquetage du Pont Neuf dont la présentation a été d’environ quinze jours, aurait pu être réalisé si l’intéressé n’avait pas obtenu les autorisations nécessaires » (Cour d’appel de Paris, 13 mars 1986 85/16 542 Sté Sygma, Gamma, et a.c/J.C).
Le fait de ne pas obtenir d’autorisation –privée ou publique- rendrait ainsi l’œuvre extrinsèquement illicite mais pas intrinsèquement.
En revanche, la Cour de Cassation considère que lorsque l’œuvre est intrinsèquement illicite, elle ne peut bénéficier du droit d’auteur. (Cour de Cassation 28 septembre 1999, numéro de pourvoi : 98 – 83 675).
Ce qui par exemple pourrait être le cas d’une œuvre violente, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, lorsqu’elle est susceptible d’être vue par un mineur (Article 227-24 du code pénal).
Ou encore d’une œuvre qui prendrait délibérément parti sur une question politique, comme celle de l’immigration. Dans l’affaire dite de la « fresque des expulsés », la Cour d’appel administrative de Bordeaux a ainsi considéré que le Maire de la Commune de Billere n’avait pas respecté son devoir de neutralité en commandant une telle fresque pour orner un bâtiment public. La Cour précise que le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soit apposés sur les édifices publics des signes de revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques. (CAA Bordeaux, 26 octobre 2010, n°10BX00170).
De même une œuvre qui ne respecterait pas le « bon ordre, la sureté, la sécurité, et la salubrité publiques » au sens de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, ou qui causerait « une destruction, une dégradation ou une détérioration du bien d’autrui » au sens de l’article 322-1 du Code pénal, pourrait être considérée comme intrinsèquement illicite, et donc privée de droit d’auteur.
Dans l’hypothèse où l’œuvre est considérée comme originale, et licite intrinsèquement, l’auteur pourra bénéficier du droit d’auteur.
Droit patrimonial et droit moral
Le droit d’auteur se compose de droits patrimoniaux, et moraux.
Au titre du droit patrimonial, l’auteur peut s’opposer à toute représentation ou reproduction de son œuvre faite sans son autorisation préalable.
Dans l’affaire relative au fameux Pont Neuf emballé par Christo, il a par exemple été jugé par la Cour d’appel que l’auteur pouvait s’opposer à la reproduction, sans son autorisation préalable, de son œuvre dans un court-métrage (Cour d’appel de Paris, 13 mars 1986 85/16 542 Sté Sygma, Gamma, et a.c/J.C).
L’auteur peut donc s’opposer à la reproduction de son œuvre sur tout support identique à celui qu’il a utilisé, ou distinct (photo, édition, publicité, produits dérivés etc…).
Néanmoins encore faut-il qu’il y ait reproduction identique ou similaire pour qu’il y ait contrefaçon.
Dans l’affaire « SPACES INVADERS », bien que le Tribunal ait reconnu l’originalité des fameuses mosaïques, il a considéré qu’il n’y avait pas eu contrefaçon.
En effet, les formes reproduites étaient créées en plexiglas (et non en carreaux de piscine), et n’étaient pas scellées dans un mur.
Enfin, au titre du droit moral, l’auteur peut s’opposait à toute atteinte à sa paternité, au respect de son œuvre, à son droit de divulgation, de repentir ou de retrait.
Mais dans ce cas, comme nous le verrons ci-après, son droit est limité par celui du propriétaire du support.
• Le parasitisme (plagiat)
A côté du droit d’auteur, l’auteur d’une création « urbaine », peut invoquer le droit commun de la responsabilité civile délictuelle fondé sur l’article 1382 du code civil.
Selon cet article : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Cet article permet de réparer le préjudice crée par la réutilisation des créations sans contrepartie financière. Ou peut l’invoquer en cas de parasitisme ou de plagiat, ce dernier n’étant en fait qu’une forme de parasitisme.
Le parasitisme consiste à bénéficier des investissements d’autrui sans contrepartie financière. Par investissement, la jurisprudence entend investissement humain, matériel, ou financier.
Le Street artiste, lorsqu’il crée, investit de son temps, et parfois même de son argent, pour créer une œuvre.
Si une personne réutilise son travail sans bourse déliée, il crée un préjudice à l’artiste du fait de son manque à gagner : il aurait pu « vendre » sa création.
L’usurpateur, le plagiaire, le parasite fait une économie de temps, d’argent.
Parfois, il profite même de la renommée de l’artiste.
Il fait donc des bénéfices de façon injustifiée, sans le « rémunérer », sans contrepartie financière.
L’auteur peut donc demander réparation de son préjudice notamment par la condamnation du parasite à lui payer des dommages et intérêts.
Dans l’affaire « SPACES INVADERS », le Tribunal a par exemple estimé que la société qui avait utilisé les formes crées par l’artiste avait cherché à profiter de la notoriété, et de la renommée de l’artiste.
Ce dernier a pu ainsi obtenir des dommages-intérêts au titre d’une simple action en responsabilité délictuelle, et notamment pour parasitisme sur le fondement de l’article 1382 du Code civil (Affaire Invader : Tribunal de Grande Instance de Paris, 14 novembre 2007).
L’auteur d’une œuvre de Street art peut donc bénéficier d’une protection, tant au titre du droit d’auteur, que du droit commun de la responsabilité.
II) Les droits du propriétaire du support de l’œuvre
Les droits de l’auteur doivent être conciliés avec ceux du propriétaire du support sur lequel l’œuvre est apposée.
Le propriétaire peut invoquer différents fondements pour protéger son bien.
Il peut tout d’abord s’opposer à la destruction, la dégradation ou la détérioration de son bien sur le fondement de l’article 322 – 1 du code pénal.
Destruction, dégradation ou détérioration
Selon l’article 322 – 1 du code pénal, « La destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger.
Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général lorsqu’il n’en est résulté qu’un dommage léger. »
Cet article crée une infraction permettant de protéger les biens appartenant à autrui contre tout dommage « lourd » (Article 322 – 1 du Code pénal alinéa 1 a contrario), et contre les dommages « légers », lorsque dans ce dernier cas il résulte d’un traçage (Article 322 – 1 du Code pénal alinéa 2).
Il a ainsi par exemple été jugé que le fait de « taguer » la façade d’un mur avec une peinture indélébile constituait un dommage lourd du fait de l’impossibilité d’enlever facilement les inscriptions sans dégrader la substance même du support. (Tribunal de grande instance de Besançon, 12 septembre 2005, numéro 050055669).
L’image du bien
Le propriétaire du support peut également invoquer la protection de l’image de son bien lorsqu’il en résulte un trouble anormal (Cour de cassation 7 mai 1994, numéro 02 – 10 450).
Dans une affaire, la SNCF reprochait par exemple à un éditeur de diffuser dans des revues des photos représentant des tags et des graffitis sur des trains.
Elle invoquait son droit sur l’image des wagons.
Sa demande a cependant été rejetée au motif que les wagons n’apparaissaient que de façon accessoire au dessin, et qu’elle n’était pas propriétaire desdits wagons.
La SNCF n’ayant pas apporté la preuve d’un trouble anormal, sa demande fût donc rejetée (CA Paris 27 sept. 2006, SNCF/Graff it ! Production).
Mais à supposer qu’un trouble anormal soit prouvé, le propriétaire du support pourrait donc demander l’interdiction de la diffusion de l’image de son bien.
Le propriétaire du support peut-il détruire l’œuvre ?
Enfin se pose la question de savoir si le propriétaire du support peut détruire l’œuvre.
La tendance de la jurisprudence est de reconnaître la possibilité au propriétaire du support de détruire l’œuvre, mais sous certaines conditions.
Dans l’affaire relative à la mosaïque créée par des squatters dans un appartement, il a par exemple été jugé que le propriétaire pouvait détruire l’œuvre passé un délai de deux mois permettant aux créateurs de retirer son œuvre.
Le droit de retrait, droit moral de l’auteur se trouve ainsi reconnu mais limité par le droit de propriété du bien sur lequel l’œuvre est apposée (Tribunal de grande instance de Paris, 13 octobre 2000, M. A et al. c/ M. L.).
Cependant, dans une affaire concernant une peinture effectuée sur les murs d’une caserne, les magistrats ont considéré que la destruction de l’œuvre pouvait être réalisée si elle était « indispensable pour respecter des impératifs esthétiques, techniques ou de sécurité publique. » (Conseil d’État, 15 octobre 2014, n°353168).
Il n’est donc pas sûr que l’on puisse conclure que le droit de propriété « corporel » prime sur le droit de propriété « incorporel ».
À moins que l’on doive considérer que le droit de propriété prime sur le droit d’auteur lorsque l’œuvre est créée à l’intérieur de la propriété d’un bien, et que le droit d’auteur prime sur le droit de propriété lorsque que l’œuvre est créée « dans la rue », à l’extérieur de la propriété du bien.
Un bras de fer oppose par conséquent les auteurs aux propriétaires de biens.
Il appartiendra aux Tribunaux de trancher ces conflits, tout comme ceux opposant les auteurs aux contrefacteurs, et autres parasites qui profitent, sans bourse délier, du Street Art.
Dans tous les cas, il ressort de la jurisprudence, que le Street Art, malgré sa nature illicite, peut bénéficier d’une protection juridique.
Une belle illustration que le droit, peut s’adapter aux nouvelles formes de l’art, et qu’il sait parfois lui-même être très créatif.
Arnaud DIMEGLIO,
Avocat à la Cour, Docteur en droit, Titulaire des mentions de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, droit des nouvelles technologies, droit de l’informatique et de la communication.