Les termes de « désinformation », de « fausse information », ou encore de « fake news » sont très régulièrement employés dans les médias. Mais qu’est ce qui se cache dernière ces mots, ces qualifications ?

La désinformation est-elle une infraction qui vise à nous protéger, contre des contenus dangereux, ou un instrument de censure de l’information ?

Il s’agit d’une question juridique extrêmement importante dont dépend notre liberté d’expression, et donc notre démocratie.

Ces termes autour de la désinformation ont été particulièrement utilisés lors de l’épidémie de COVID, parfois à juste titre, pour dénoncer de vraies fausses informations, mais aussi parfois de manière malhonnête, pour censurer des informations ou des opinions justifiées.

Malgré la fin de cette épidémie, les médias continuent d’utiliser les termes de fausses informations ou de désinformation, par exemple au sujet de la guerre en Ukraine, de l’euro numérique, ou du Bitcoin.

La désinformation est donc dénoncée comme s’il existait une infraction générale qui permettrait de la réprimer.

Mais il n’existe pas d’infraction générale de désinformation.

En France, il existe des infractions particulières comme le délit de fausses nouvelles qui troublent la paix publique ou celui de fausse nouvelle électorale.

  • L’article 27 de loi du 29 juillet 1881 réprime l’infraction de fausses nouvelles :

« La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros. »

Pour qu’il y ait fausse nouvelle, il faut une fausse information qui soit diffusée de mauvaise foi, pour troubler la paix publique.

Autrement dit, qui crée un désordre, une panique au niveau collectif.

Ce délit ne peut être invoqué qu’à l’initiative du ministère public, et non par toute personne.  

On voit bien ainsi qu’il est inadapté à ce qu’on entend dans les médias par « fausse information ».

  • L’article L. 97 du Code électoral prévoit :

« Ceux qui, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter, seront punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros. »

Mais ces délits ne renvoient pas à la notion de fausse information telle qu’on l’entend aujourd’hui.

En revanche, il existe une loi de 2018 relative à la manipulation de l’information, laquelle fait référence à cette notion[i].

Mais cette loi n’a pas pour autant créé de délit de fausse information ou de désinformation.

Elle a prévu que l’ARCOM doit contribuer à la lutte contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l’ordre public ou les élections générales.

Ce qui est très curieux vu qu’il n’existe pas de délit de diffusion de fausses informations.

Donc on reconnaît des pouvoirs à des autorités sans même définir ce qui constitue en soi l’infraction sous-jacente de désinformation.

La loi de 2018 n’a même pas donné de définition de la notion de « fausse information »,

Il a fallu que ce soit que le Conseil constitutionnel et le juge judiciaire qui interprètent la loi de 2018 pour définir ce terme[ii].

D’après ces autorités, pour qu’il y ait fausses informations, il faut qu’il existe une allégation ou une imputation de fait inexacts ou trompeurs, dont on peut prouver de manière objective le caractère faux.

Il s’agit donc de fait complétement déconnectés de la réalité.

Comme le fait de dire que la terre est plate, ou que l’on peut se soigner du Covid en buvant de l’eau de javel.

Dans ce cas, nous sommes bien en présence de vraies fausses informations.

Et il faut ici saluer le travail de ces juridictions qui ont permis de clarifier la notion de fausse information.

Le Conseil constitutionnel ajoute que ne constituent pas de fausses informations les opinions, les parodies, les inexactitudes partielles ou les simples exagérations.

Donc on voit bien que la définition de la fausse information est très limitée à ce qui est objectivement faux, alors qu’elle est souvent employée dans les médias de manière généralisée, exagérée.

Ce qui en soit est contreproductif car cela génère au final une confusion entre ce qui est vrai et ce qui est faux.

Ajoutons que la loi de 2018 sur la manipulation de l’information précise que l’ARCOM doit lutter contre la fausse information qui trouble l’ordre public ou les élections, et non pas tout type de fausse information.

Le fait de dire que la terre est plate n’est pas ainsi une fausse information au sens de la loi de 2018.

En revanche le fait de dire que l’eau de javel permet de guérir du Covid en constitue certainement une.

Donc on voit bien avec cette définition qu’il faut que la fausseté de l’information soit objective, et qu’elle trouble l’ordre public ou les élections.

Cette définition objective de la fausse information, on la retrouve aussi dans le Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation de 2018 :

La « désinformation » est définie comme des informations « verifiably » (dont on peut vérifier) qu’elles sont fausses ou trompeuses et qui, cumulativement,

(a) « sont créées, présentées et diffusées dans un but lucratif ou pour tromper intentionnellement le public » ; et

(b) « peuvent causer un préjudice public », c’est-à-dire « menacer les processus politiques et décisionnels démocratiques ainsi que les biens publics tels que la protection de la santé des citoyens de l’UE, l’environnement ou la sécurité ».[5]

La notion de « désinformation » n’inclut pas la publicité trompeuse, les erreurs de reportage, la satire et la parodie, ni les informations et commentaires partisans clairement identifiés, et s’entend sans préjudice des obligations légales contraignantes, des codes publicitaires d’autorégulation et des normes relatives à la publicité trompeuse.

Mais dans le Code renforcé de 2022, ce caractère objectif de la désinformation n’apparaît plus :

“Disinformation is false or misleading content that is spread with an intention to deceive or secure economic or political gain and which may cause public harm”.

« La désinformation est un contenu faux ou trompeur qui est créée, présenté et diffusé dans un but lucratif ou pour tromper intentionnellement le public, et qui peut causer un préjudice public. »

« Néanmoins, la notion de « désinformation » n’inclut pas la publicité trompeuse, les erreurs de reportage, la satire et la parodie, ni les informations et commentaires partisans clairement identifiés, et s’entend sans préjudice des obligations légales contraignantes, des codes publicitaires d’autorégulation et des normes relatives à la publicité trompeuse. »

Ce qui peut laisser la place à toute sorte d’interprétation subjective sur la désinformation.

Or c’est ce même code qui vient d’être reconnu en février dernier par les autorités européennes comme code de conduite sur la désinformation[iii].

Ce qui signifie qu’il va servir de base juridique au règlement DSA, lequel crée des obligations de diligence pour les plateformes dont la lutte contre leurs risques systémiques, ce qui comprend la lutte contre la désinformation.

Ce Code va être pleinement applicable dès le 1er juillet 2025.

Ce qui signifie que les très grandes plateformes qui n’y ont pas adhérées comme Twitter (X) risquent fortement de se faire sanctionner par la Commission européenne.

Mais ce qui est plus inquiétant encore, c’est que les signataires de ce Code reconnaissent que la désinformation peut être licite :

Ainsi que la Commission le reconnaît à plusieurs reprises dans la communication, les signataires sont attentifs au droit fondamental à la liberté d’expression et à un internet ouvert, ainsi qu’au délicat équilibre à trouver pour tout effort visant à limiter la propagation et l’incidence d’un contenu qui serait par ailleurs licite.

[Code européen de bonnes pratiques contre la désinformation, 2018[i][ii]]

Les actions figurant dans le présent plan d’action ne visent que la désinformation dont le contenu est licite au regard du droit national ou de l’Union.

[Plan d’action contre la désinformation. 5.12.2018[iii]]

As stressed in the Communication, fundamental rights must be fully respected in all the actions taken to
fight Disinformation ». The Signatories are mindful of the fundamental right to freedom of expression,
freedom of information, and privacy, and of the delicate balance that must be struck between protecting
fundamental rights and taking effective action to li mit the spread and impact of otherwise lawful content.
All of the Commitments and Measures herein should be interpreted and implemented in accordance with
EU rules on fundamental rights, and, in situations where fundamental rights may conflict, in accordance
with the principle of proportionality.

[Code de conduite contre la désinformation, Préambule, (c)]

Le Code de conduite prévoit de lutter contre cette désinformation par divers moyens : suppression ou réduction de visibilité de contenus, suppression de publicités, démonétisation etc….

Alors certes les adhérents à ce Code reconnaissent qu’il faut respecter la liberté d’expression.

Mais comment la liberté d’expression peut-elle être respectée si des contenus licites peuvent être sanctionnés ?

L’idée au travers de code est donc de lutter contre la propagation de la désinformation, même si son contenu est licite.

Il y a donc un risque qu’au travers de ce Code, les plateformes qui ont adhéré à ce code comme Meta, Tiktok ou Google…censurent des contenus licites, et favorisent la seule propagation de contenus qu’ils jugent licites.

Ce qui serait bien entendu très inquiétant pour notre liberté d’expression, et notre démocratie.

[i] https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/library/2018-code-practice-disinformation

[ii] https://ec.europa.eu/newsroom/dae/document.cfm?doc_id=59114

[iii] https://www.eeas.europa.eu/sites/default/files/plan_daction_contre_la_desinformation.pdf

[i] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037847559/

[ii] https://dimeglio-avocat.com/fake-news-ou-fausses-informations/

[iii] https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/library/code-conduct-disinformation

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