Le droit à la tranquillité

A l’heure où les moyens de surveillance, de fichage, de traçage, et de notation se multiplient, il est bon de rappeler qu’il existe un certain droit à la tranquillité.

La tranquillité de chacun peut être protégée tant sur la base de textes spécifiques qui la prévoient expressément, que sur le fondement du droit au respect de la vie privée, et des données personnelles.

Droit au respect de la vie privée

Le droit à la vie privée est protégé en droit interne tant sur le fondement de l’article 9 du Code Civil, que des articles 226-1 et s. du code pénal.
Régulièrement des magazines sont condamnés pour avoir violé la vie privée de célébrités, et avoir troublé ainsi leur tranquillité.

Mais au delà de ces affaires médiatiques, il est intéressant de souligner que l’atteinte à la tranquillité peut se manifester même en dehors de toute publication.

Le Tribunal de grande Instance de Paris avait déjà admis en 2005, sur le fondement de l’article 9 du Code Civil que :

« le fait pour un assureur d’un conducteur impliqué dans un accident de la circulation de faire réaliser des investigations sur le tiers victime aux fins, notamment, de pouvoir contester le rapport d’un expert judiciaire sur la réalité et la portée du handicap de ce dernier, hors mandat de justice, pendant plusieurs mois, en procédant à la surveillance de ses faits et gestes, à des filatures et à la prise de nombreuses photographies, au téléobjectif, tant de l’intéressé lui-même que des ses proches ou de ses connaissances, constitue une immixtion disproportionnée dans sa vie privée ».

Selon le jugement rendu :

« Le droit au respect de la vie privée n’est circonscrit ni à la seule sphère relevant de l’intimité, ni aux seuls lieux privés, mais comporte plus largement la protection de la tranquillité de la personne et de tout ce que commande le sentiment commun d’être libre ».
(Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre presse, 9 mars 2005, n° 03/15981, mutuelle assurances des travailleurs mutualistes)

En 2020, la Cour de cassation a rappelé qu’il peut exister une atteinte à la vie privée sans qu’il y ait nécessairement divulgation publique.

Dans une affaire relative à l’envoi de messages malveillants « de caractère purement privé » à la victime par son beau-frère, sans « divulgation extérieure à la sphère familiale », la Cour de Cassation a cassé la décision du juge du fond qui n’avait pas caractérisé l’atteinte à la vie privée, faute de divulgation en dehors de la sphère privée.

La haute juridiction a considéré que :

« L’absence de divulgation ne suffit pas à écarter l’atteinte à la vie privée » (Cour de cassation, Chambre civile 1, 20 mai 2020, 19-20.522)

Selon la doctrine, on peut interpréter cet arrêt comme étendant l’infraction d’atteinte à la vie privée fondée sur l’article 9 du Code Civil au simple trouble à la tranquillité, à la quiétude de la victime.

Ainsi, même en l’absence d’indiscrétion de l’auteur du trouble ou de divulgation en dehors du cadre privé ou familial, dès lors qu’il y a trouble de la tranquillité de la victime ou d’autrui, l’atteinte à la vie privée peut être retenue.

 

Article 8 de la Convention EDH

Comme en droit français, la CEDH rattache le droit à la tranquillité au droit à la vie privée.

Ce droit est fondé sur l’article 8 de la Convention Européenne des droits de l’Homme :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance »

La CEDH considère que « la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive » (CEDH, quatrième section, affaire Pretty c. Royaume-Uni, 29 avril 2002, 2346/02)

Sur ce fondement, la CEDH tend à reconnaitre un droit au respect de la tranquillité de la personne et notamment à la jouissance tranquille de son domicile.

En effet, selon le guide de la CEDH sur l’article 8 de la Convention :

« Le droit au respect de son domicile est conçu non seulement comme le droit à un simple espace physique, mais aussi comme le droit à la jouissance, en toute tranquillité, de cet espace »

La CEDH a rappelé à plusieurs reprises ce principe s’agissant de requérants qui arguaient de la violation de l’article 8 pour des nuisances sonores qu’ils subissaient à leur domicile du fait de la proximité d’une discothèque ou d’une carrière de pierres (CEDH, affaire Moreno Gómez c. Espagne, 16 novembre 2004, 4143/02 ; CEDH, affaire Martínez Martínez et Pino Manzano c. Espagne, 3 juillet 2012, 61654/08).

En ce sens, la CEDH a condamné sur le fondement de l’article 8 :

– La diminution de « la qualité de la vie privée et les agréments du foyer des requérants » en raison du « bruit des avions de l’aéroport de Heathrow » (CEDH, affaire Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990, § 40)

– Des « nuisances et troubles de santé chez de nombreux habitants » du fait de la pollution par les bruits et les odeurs d’une station d’épuration (CEDH, Lopez Ostra c. Espagne, arrêt du 9 décembre 1994, § 51)

– « L’incidence directe des émissions [de substances] nocives » (CEDH, affaire Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 57).

– L’entrée de tierces personnes dans la cour de la maison du requérant et le déversement par ces personnes de plusieurs charrettes de fumier devant la porte et sous les fenêtres de la maison (CEDH, affaire Surugiu c. Roumanie, 20 avril 2004).

Droit des données personnelles

Au-delà du droit au respect de la vie privée, il convient de souligner qu’il existe un droit des données personnelles qui permet de protéger les personnes concernées par le traitement de leurs données.

Ce droit comprend notamment le droit de s’opposer au traitement de ses données, ainsi qu’un droit à l’effacement.
Le droit de s’opposer au traitement de ses données est prévu par l’article 21 du Règlement Général sur la Protection des données (RGPD).
Ce droit est automatique lorsque les données sont traitées à des fins de prospection commerciale, ou lorsque l’opposition est fondée sur des motifs légitimes.
Il est même sanctionné pénalement par l’article 226-18-1 du Code pénal.

Le doit à l’effacement ou droit à l’oubli est un droit que peut invoquer toute personne dont les données personnelles (nom, prénom, adresse, numéro de téléphone, image etc…) sont traitées par un responsable de traitement.
Ce droit est consacré par l’article 17 du Règlement Général sur la Protection des Données Personnelles.
La personne concernée a le droit de demander l’effacement de tout lien vers ces données (article 17§2).
Ce droit à l’effacement permet notamment en pratique d’obtenir le déréférencement de ses données personnelles dans les moteurs de recherche.
Ce droit a été consacré par le fameux arrêt Costeja de la CJUE du 13 mai 2014 : Google Spain v AEPD and Mario Costeja González.

A côté de ces textes généraux, existent divers textes spécifiques qui visent expressément la protection de la tranquillité :

Usurpation d’identité ou usage de données :

Selon l’article 226-4-1 du Code Pénal :

« Le fait d’usurper l’identité d’un tiers ou de faire usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ».

Sur ce fondement, a été déclaré coupable d’usurpation d’identité, celui qui a :

« Usurpé l’identité de F L ou fait usage d’une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier, en l’espèce, en vue de troubler sa tranquillité, en créant au moins cinq comptes Facebook, en usurpant l’identité de la victime, et en utilisant ses coordonnées personnelles pour créer au moins huit profils sur des sites de rencontres et au moins onze adresses à son nom »
(Cour d’appel de Paris, 23 mai 2019, n° 18/02155)

Appels ou messages malveillants :

Selon l’article 222-16 du Code Pénal :

« Les appels téléphoniques malveillants réitérés, les envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques ou les agressions sonores en vue de troubler la tranquillité d’autrui sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Sur ce fondement, a été condamné l’émetteur de multiples appels malveillants ayant troublé la tranquillité de la victime à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et 2 000 francs d’amende, ainsi qu’à verser à la partie civile une somme de trois mille francs (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 14 janvier 1998, 96-86.458).

Bruits ou tapages injurieux ou nocturnes :

Selon l’article R623-2 du Code Pénal :
« Les bruits ou tapages injurieux ou nocturnes troublant la tranquillité d’autrui sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 3e classe ».

La Cour de Cassation confirme la condamnation pour tapage nocturne à l’encontre de l’auteur du bruit, y compris lorsque « la tranquillité d’une seule personne a été troublée » (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 17 mai 1983)

Intrusion dans un établissement d’enseignement scolaire :

Selon l’article 431-22 du Code Pénal :

« Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende ».

La Cour d’Appel avait retenu cette qualification s’agissant d’un individu « ayant pénétré et s’étant maintenu indûment dans l’enceinte de l’Ecole normale supérieure de Lyon », mais la Cour de Cassation a cassé cette décision au motif que : « l’Ecole normale supérieure de Lyon est classée comme établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel au sens de l’article L. 711-1 du code de l’éducation, et non comme établissement scolaire au sens du livre IV dudit code »
(Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 décembre 2012, 11-88.431).

 

Arnaud DIMEGLIO

Avocat à la Cour, Docteur en droit, Titulaire des mentions de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, droit des nouvelles technologies, droit de l’informatique et de la communication.
Bureau principal : 8 place St. Côme, 34000 Montpellier,

Bureau secondaire : 10 avenue de l’Opéra, 75001 Paris,
Tel : 04.99.61.04.69, Fax : 04.99.61.08.26

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