Dénigrement

Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits ou services fournis par un tiers dans le but de nuire.
Il se répare sur le fondement de l’article 1240 (ex. 1382) du Code civil suivant lequel : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Pour que la responsabilité de l’auteur du dénigrement soit engagée, il faut apporter la preuve d’une faute, et d’un préjudice qui lui soit liée.

 

• Le dénigrement de produit

Le dénigrement peut viser les produits d’une entreprise.

A titre d’exemple, ont été considérés comme dénigrants :

– La divulgation d’une action en contrefaçon de produits, action n’ayant pas donné lieu à une décision de justice (Cour de cassation, 9 janvier 2019, n° X/2017/18350)

– La révélation de défaut de conformité de cartouches de gaz aux normes en vigueur (Cass. com., 24 sept. 2013, n° 12-19.790)

– Concernant des cognacs, l’affirmation suivant laquelle ils ne se distinguaient pas « d’un véritable verre d’eau si ordinaire et si plate  » (Cass, Com, 17 mars 2009 n°06-18011)

– La publication de deux avis négatifs, dont l’un qualifiait le produit de  » daube  » (Cass, Com, 24 nov. 2009 n°08-15002)

– La divulgation d’un test comparatif par l’UFC « Que Choisir » sur de « vrai-faux jus d’orange » (Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 30 mai 2006, 05-16.437)

 

• Le dénigrement de service

Le dénigrement peut viser les services d’une entreprise.

A titre d’exemple, ont été considérés comme dénigrants :

– L’affirmation suivant laquelle le gérant d’une entreprise établirait de « faux certificats » et de « faux rapports » (Cass, 1re Civ., 5 déc. 2006 n°0517710)

– Les propos suivants : « Gérant assez désagréable, fournitures et prestations chères pour le résultat » (Cour d’appel de Versailles, 12e chambre, 18 juin 2019, n° 18/02791)

– Les termes d’« escroquerie », et « arnaque », à propos de services de téléphonies (Tribunal de commerce de Paris, 15ème chambre, 29 janvier 2018, n° 2014031561)

 

• Le dénigrement des qualités professionnelles et de l’utilité du travail

Il peut y avoir dénigrement lorsque la critique porte sur les qualités professionnelles, et l’utilité du travail.

Dans une affaire, la société D. s’estimant dénigrée par France Telecom, agit en réparation de son préjudice sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

La Cour d’appel considère que les faits invoqués sont constitutifs d’une diffamation, et donc la demande de la société D. relève selon elle des dispositions de la loi du 29 juillet 1881. Elle ajoute que cette demande est irrecevable car formée après l’expiration du délai de prescription.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel au motif que les propos litigieux mettant « seulement en cause les qualités professionnelles et l’utilité du travail de la société D. mais pas son honneur, si sa considération » peuvent être constitutifs d’une faute délictuelle, et donc relevaient des dispositions de l’article 1382 du Code civil.

(Civ.1ère, 19 mars 2009 n°07-19667)

 

• Le dénigrement d’une profession

Il peut aussi y avoir dénigrement lorsque la critique porte sur l’ensemble d’une profession.

Dans une affaire, l’Ordre des avocats de la Cour d’appel de Paris a assigné P.R, secrétaire général adjoint du syndicat S., pour avoir tenu à la radio des propos offensants à l’égard de la profession d’avocat suivants lesquels :

– La position des avocats sur la garde à vue ne serait motivée que par des considérations financières et
– Les avocats seraient complices ou les receleurs de ceux qu’ils défendent sans le moindre souci de leurs règles déontologiques,

La solution dégagée par le Tribunal est de dire que lorsque les propos incriminés atteignent une profession considérée dans son ensemble, et n’en reportent le blâme sur aucune personne déterminée, le délit de diffamation ou d’injure n’est pas constitué.

Un ordre professionnel qui se plaint de propos « offensants à l’égard de la profession » est donc recevable à agir sur le fondement du dénigrement (article 1382 du code civil).

Comme le soutenait le demandeur, nier tout recourt à l’article 1382 du Code civil aurait violé le droit à un recours effectif du juge.
(Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre presse – civile, 19 mai 2010, n° 10/00042)

 

• L’imputation de la paternité d’un article diffamatoire

La Cour de cassation a également considéré que le fait d’imputer un article diffamant ou injurieux à une personne peut relever du dénigrement.

Dans cette affaire, une élue reprochait à une association de lui avoir imputé la paternité d’un article de presse (tract adressé à des commerçants). Elle saisit alors le juge des référés sur le fondement de l’article 1382 du Code civil pour faute d’imprudence de l’association.

Les juges prononcent la nullité de l’assignation délivrée à l’association au motif que le reproche formulé à l’encontre de cette dernière s’analysait en une accusation de diffamation. L’article 1382 du Code civil était ainsi exclu par les dispositions de la loi du 29 juillet 1881.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt confirmatif d’appel au motif que l’imputation de la paternité d’une publication en l’absence de propos injurieux ou portant atteinte à l’honneur ou à la considération ne relevait pas des dispositions de la loi du 29 juillet 1881.

Ainsi, elle considère qu’il y a eu fausse application de la loi de 1881, et un refus d’application de l’article 1382 du Code civil.

La conséquence est donc qu’en cas d’abus à la liberté d’expression, l’article 1382 du Code civil conserve une place, dès lors que les faits ne relèvent pas de la loi du 29 juillet 1881.

(Cass. 1ere civ 30 octobre 2008, n°07-19223 Association de défense des commerçants / C.)

 

• Les faux avis de consommateur

Lorsque l’avis est diffusé par une personne qui n’est pas consommateur du professionnel, son auteur peut être condamné pour dénigrement.

– Dans une affaire, une société a constaté l’avis négatif suivant sur le site des Pages Jaunes.fr : « Gérant assez désagréable, fournitures et prestations chères pour le résultat ».

Par jugement du 7 mars 2018, le tribunal de commerce de Pontoise a condamné Mme X, l’auteur de l’avis, à payer à la société la somme de 15000 € à titre de dommages et intérêts.
Mme X a interjeté appel.
Sur la faute, la Cour considère que : « Si l’acte commis par Mme X ne peut caractériser un acte de concurrence déloyale contrairement à ce que soutient la société (…), Mme X n’étant pas en situation de concurrence avec la société (…), il n’en demeure pas moins que la responsabilité délictuelle personnelle de celle-ci peut être recherchée pour avoir émis un avis dénigrant sur la société (…).
Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits ou services fournis par un tiers dans le but de nuire.
Si le commentaire critique de services ou de prestations publié sur un site internet n’est pas en soi constitutif d’une faute, il devient fautif lorsque son auteur n’a pas bénéficié des services et prestations critiqués caractérisant ainsi le dénigrement.
Mme X ne conteste pas avoir émis l’avis litigieux (…).
Elle ne rapporte pas la preuve d’avoir directement approché la société (…) soit pour obtenir des informations soit pour en obtenir des prestations de sorte que cet avis doit être considéré comme fictif. Il est constitutif d’un dénigrement en ce qu’il a pour but de dissuader un client potentiel d’entrer en relation d’affaire avec la société (..). Il importe peu que des commentaires négatifs aient été émis par des tiers ou qu’il s’agisse de propos rapportés. »
(Cour d’appel de Versailles, 12e chambre, 18 juin 2019, n° 18/02791)

– Dans une autre affaire, une société exploitante d’un restaurant a constaté l’avis suivant sur le site des Pages Jaunes alors que le restaurant n’était pas encore ouvert au public :

« Surfait, appréciation globale : restaurant très surfait, tout en apparat et très peu de chose dans l’assiette. L’assiette la mieux garnie est celle de l’addition. Ce qu’il a aimé : la décoration, ce qu’il n’a pas aimé : le coté mielleux du personnel ».

Par jugement du 6 octobre 2015, le tribunal de grande instance de Dijon a condamné M. L, auteur de l’avis litigieux, à payer à la société la somme de 2000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à son image, et la somme de 5 106,97 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier.

La Cour d’appel de Dijon considère que : « Attendu que si le commentaire critique de services ou de prestations publié sur internet n’est pas en soi constitutif d’une faute, comme l’a justement retenu le premier juge, il devient fautif lorsque son auteur n’a pas bénéficié des services ou des prestations critiquées et qu’il procède d’une intention de nuire

Qu’en l’espèce Maître Laleve, huissier de justice à Dijon, a constaté, le 13 juillet 2013, le commentaire (…) ;

Qu’à cette date Monsieur L n’avait pas pu bénéficier des prestations de ce restaurant qui n’était pas ouvert »

(Cour d’appel de Dijon, ch. Civile 01 – 20 mars 2018 – n°15/022004)

[pour aller plus loin :Fake news ou fausses informations | Avocat internet | Arnaud DIMEGLIO (dimeglio-avocat.com )

 

• Le dénigrement peut viser indirectement la personne

Dans un arrêt du 5 décembre 2006, la chambre commerciale de la Cour de cassation a admis le recours au fondement de l’article 1382 du code civil (devenu 1240 du code civil) pour sanctionner des allégations dénigrantes, et ce même lorsque les propos tenus visaient le gérant :

« Qu’en statuant ainsi, au vu des propos litigieux selon lesquels le gérant de la CECD établirait de « faux certificats » et de « faux rapports » quand il résultait de ses constatations que ces allégations, même si elles visaient ce gérant, n’avaient pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par la société CECD, dans la mesure où elles émanaient d’une société concurrente de la même spécialité exerçant dans le même secteur et étaient proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle, la cour d’appel a violé le premier des textes susvisés (article 29 de la loi du 29 juillet 1881) par fausse application et le second par refus d’application »
(Cass, 1re Civ., 5 déc. 2006 n°0517710)

La Cour de cassation admet également la qualification de dénigrement à des allégations « même si elles visaient MM. X…, B… et C… », personnes exploitantes d’un produit :

« Mais attendu que l’arrêt retient que dans son courrier à la société Henri A… – A… Imports, la société Y… faisait valoir que les cognacs produits par la société Domaine La Fontaine de la Pouyade avaient été embouteillés ou commercialisés à certaines époques par un viticulteur à Bons Bois puis par un négociant en Armagnac et qu’une dégustation d’une bouteille de cognac de la société Domaine La Fontaine de la Pouyade avait révélé qu’au goûter il ne se distinguait pas d' » un véritable verre d’eau si ordinaire et si plate  » ; qu’en l’état de ses constatations, dont elle a déduit que les allégations, portées par un professionnel concurrent, même si elles visaient MM. X…, B… et C…, n’avaient pour objet que de porter le discrédit sur les cognacs commercialisés par la société Domaine La Fontaine de la Pouyade et étaient proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n’est pas fondé ;».
(Cass, Com, 17 mars 2009 n°06-18011)

Selon la Cour d’appel de Reims, il importe peu que quelques rares internautes aient pu publier des messages mettant en cause nommément le gérant de la société ou la société elle-même :

« Le dénigrement est dirigé contre un produit ou un service (…) peu important que quelques rares internautes aient pu publier des messages mettant en cause nommément le gérant de la société ou la société elle-même. »
(Cour d’appel de Reims, 10 juillet 2018, n° 18/00355)

• Le dénigrement doit être distinct de la diffamation

La faute propre au dénigrement doit être distincte de la diffamation.
A défaut, cette dernière absorbe le dénigrement.
Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation, une association imputait à une société la fabrication et la commercialisation de mines anti-personnel. Elle appelait en outre au boycottage de la société.

Cette dernière a attaqué l’association sur le fondement de l’article 1382 du Code civil (ex 1240 du Code civil).

L’association se défend en invoquant l’article 65 de la loi de 1881 suivant lequel les actes de diffamation se prescrivent par trois mois.

La Cour donne raison à l’association en considérant que l’appel au boycottage est indissociable de la diffamation.

« Vu les articles 65 de la loi du 29 juillet 1881 et 1382 du Code civil ;
Attendu que les abus de la liberté d’expression prévus et sanctionnés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ; que l’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la loi susvisée se prescrivent après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait ;
Attendu que pour écarter la fin de non-recevoir prise par l’association de l’absence d’acte interruptif de la prescription entre le 11 septembre 1995 et le 12 février 1996, l’arrêt du 14 mai 1996 énonce que la société reproche à l’association de lui avoir faussement imputé la fabrication de mines à effet antipersonnel mais ne fonde pas son action sur ce seul grief, et fait aussi valoir que l’association aurait incité des élus municipaux à mettre fin aux relations commerciales établies entre elle-même et les communes par eux administrées, relativement à la fourniture de feux d’artifice et d’acheter ces produits pyrotechniques à certains de ses concurrents qu’elle a nommément désignés ; que ces faits, distincts de l’imputation précitée que l’association qualifie de diffamatoire, ne sont constitutifs d’aucune des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 ; que, dès lors, l’association ne peut se prévaloir de l’article 65 de cette loi pour prétendre que cette action serait prescrite ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’appel au boycottage était indissociable de la diffamation envers la société constituée par l’imputation faite à celle-ci de fabriquer et commercialiser des mines antipersonnel, de sorte qu’aucune faute distincte ne pouvait être relevée, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés ;
Cour de cassation, casse et annule »

(Cour de Cassation, Chambre civile 2, 29 novembre 2001, 98-20.529)

 

• Le dénigrement entre non concurrents

Par ailleurs, la Cour de cassation considère qu’il peut y avoir dénigrement sans l’existence d’une situation de concurrence.

La définition du dénigrement est ainsi large :

Attendu que, même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure ;
(Cour de cassation, 9 janvier 2019, n° X/2017/18350) (Cour de cassation, Chambre commerciale, 4 mars 2020, 18-15.651)

Le dénigrement peut exister entre professionnel (BtoB), ou entre professionnel et consommateur :

Si le commentaire critique de services ou de prestations publié sur un site internet n’est pas en soi constitutif d’une faute, il devient fautif lorsque son auteur n’a pas bénéficié des services et prestations critiqués caractérisant ainsi le dénigrement.
(Cour d’appel de Versailles, 12e chambre, 18 juin 2019, n° 18/02791)

Une situation de concurrence indirecte, par complicité, peut aussi être admise :

« Enfin, le fait que ce dernier n’est pas un concurrent direct de la Sarl Auto Ecole Newton Levallois est d’autant plus indifférent qu’il résulte de la pièce n°13 de la demanderesse, non contestée par le défendeur, que son frère préside une société qui, implantée à Levallois et ayant pour objet l’enseignement de la conduite et de la sécurité routière, est en situation de concurrence avec la demanderesse, dont M.X était au surplus ancien salarié. »

(Tribunal de grande instance de Nanterre, Pole civil 1re chambre, 21 novembre 2019)

 

• Le dénigrement entre concurrents

Le rapport de concurrence facilite la qualification de dénigrement car on en déduit que l’objectif est de porter du discrédit sur les produits ou services du dénigré dans le but de détourner la clientèle.
Qu’en statuant ainsi, au vu des propos litigieux selon lesquels le gérant de la CECD établirait de « faux certificats » et de « faux rapports » quand il résultait de ses constatations que ces allégations, même si elles visaient ce gérant, n’avaient pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par la société CECD, dans la mesure où elles émanaient d’une société concurrente de la même spécialité exerçant dans le même secteur et étaient proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle, la cour d’appel a violé le premier des textes susvisés par fausse application et le second par refus d’application ;
(Cour de Cassation, Chambre civile 1, 5 décembre 2006, 05-17.710)

Dans cette affaire, bien que ce soit le gérant de la société qui ait été visé, il a été considéré que le dénigrement concernait les deux sociétés.
Plus couramment, le dénigrement a lieu entre sociétés :

« Mais attendu que l’arrêt retient que dans son courrier à la société Henri A… – A… Imports, la société Y… faisait valoir que les cognacs produits par la société Domaine La Fontaine de la Pouyade avaient été embouteillés ou commercialisés à certaines époques par un viticulteur à Bons Bois puis par un négociant en Armagnac et qu’une dégustation d’une bouteille de cognac de la société Domaine La Fontaine de la Pouyade avait révélé qu’au goûter il ne se distinguait pas d' » un véritable verre d’eau si ordinaire et si plate  » ; qu’en l’état de ses constatations, dont elle a déduit que les allégations, portées par un professionnel concurrent, même si elles visaient MM. X…, B… et C…, n’avaient pour objet que de porter le discrédit sur les cognacs commercialisés par la société Domaine La Fontaine de la Pouyade et étaient proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle, la cour d’appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n’est pas fondé ;».
(Cass, Com, 17 mars 2009 n°06-18011)

« Attendu que les termes d’ « escroquerie », « arnaque », pour ne viser qu’eux renvoie incontestablement à une critique des services et offres proposés par SFR, que FREE juge trop chers, et tendent à jeter le discrédit sur ces pratiques commerciales et ces services, dans le but de promouvoir ses propres offres et de détourner la clientèle de ses concurrents ;
Attendu que les propos relatés doivent ainsi être analysés sous l’angle du dénigrement dans la mesure où ils concernent les services de SFR (…) »
(Tribunal de commerce de Paris, 15ème chambre, 29 janvier 2018, n° 2014031561)

 

• Le détournement de clientèle

Le dénigrement peut avoir pour conséquence un détournement de clientèle.

« Qu’en statuant ainsi, au vu des propos litigieux selon lesquels le gérant de la CECD établirait de « faux certificats » et de « faux rapports » quand il résultait de ses constatations que ces allégations, même si elles visaient ce gérant, n’avaient pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par la société CECD, dans la mesure où elles émanaient d’une société concurrente de la même spécialité exerçant dans le même secteur et étaient proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle, la cour d’appel a violé le premier des textes susvisés (article 29 de la loi du 29 juillet 1881) par fausse application et le second par refus d’application »
(Cass, 1re Civ., 5 déc. 2006 n°0517710)

« les allégations, portées par un professionnel concurrent, même si elles visaient MM. X…, B… et C…, n’avaient pour objet que de porter le discrédit sur les cognacs commercialisés par la société Domaine La Fontaine de la Pouyade et étaient proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle »,
(Cass, Com, 17 mars 2009 n°06-18011)

« Les termes de « escroquerie » ou « arnaque » renvoient incontestablement à une critique des services et des offres proposés par BOUYGUES TELECOM et tendent à jeter le discrédit sur ces offres et ces services, dans le but de promouvoir ses propres offres et de détourner la clientèle de ses concurrents »
(T. com. Paris, 15e ch., 22 févr. 2013, RG 2012-076280, Bouygues Telecom c/ Free).

« Attendu que les termes d’ « escroquerie », « arnaque », pour ne viser qu’eux renvoie incontestablement à une critique des services et offres proposés par SFR, que FREE juge trop chers, et tendent à jeter le discrédit sur ces pratiques commerciales et ces services, dans le but de promouvoir ses propres offres et de détourner la clientèle de ses concurrents ;
Attendu que les propos relatés doivent ainsi être analysés sous l’angle du dénigrement dans la mesure où ils concernent les services de SFR (…) »
(Tribunal de commerce de Paris, 15ème chambre, 29 janvier 2018, n° 2014031561 FREE et SFR)

 

• L’atteinte à la réputation et l’image de la société

Le préjudice peut consister dans la perte de chiffre d’affaire mais aussi dans l’atteinte à la réputation et image de la société.

« Le dénigrement commis par Mme X a nui à la réputation et à l’image de la société (…). La cour dispose des éléments suffisants pour fixer ce préjudice à la somme de 2 000 euros, Mme X a ainsi commis une faute, susceptible d’entraîner un préjudice qu’il lui appartient de réparer. »
(Cour d’appel de Versailles, 12e chambre, 18 juin 2019, n° 18/02791)

 

• L’excuse de bonne foi : intérêt général et base factuelle suffisante

La personne dénigrée peut invoquer en défense sa bonne foi.
Les Tribunaux admettent que la personne est de bonne foi, si l’information en cause se rapporte à un sujet d’intérêt général, qu’elle repose sur une base factuelle suffisante, et qu’elle est exprimée avec une certaine mesure.
Dans une affaire opposant Greenpeace à Areva, il a par exemple été jugé que l’atteinte à l’image de marque de la société Areva était justifiée par le but d’intérêt général et la santé publique.
Dans cette affaire, la Cour d’appel a jugé qu’en représentant, sur leurs sites internet, les marques de la société demanderesse associées à une tête de mort et à un poisson au caractère maladif, les associations poursuivies avaient abusé du droit à la liberté d’expression, portant un discrédit sur l’ensemble des produits et services de la société.
Mais la Cour de cassation a cassé l’arrêt.
Elle sauve l’association au motif que cette dernière avait agi conformément à son objet, dans un but d’intérêt général et de santé publique par des moyens proportionnés à cette fin.
Cette jurisprudence est également intéressante en ce qu’elle assimile la mise en cause de la marque à la critique de produit et service que la marque distingue.
(Cour de cassation, Chambre civile, 8 avril 2008, n° Z/2007/11251 Green Peace c/ Areva)

L’excuse de bonne foi a également été admise dans une affaire relative à une association de défense des animaux :

Dans cette affaire, l’association diffusait dans les salles de cinéma et sur les réseaux sociaux en 2016 quatre spots de campagne. On pouvait y entendre “L’origine France ne suffit pas. N’achetez pas de la viande issue d’élevages industriels. Mangez moins de viande, mangez de la meilleure viande. Mangez moins, mangez mieux. Avec CIWF France, demandez votre guide conso gratuit sur ciwf.fr” ; “en France, 95% des cochons sont en élevage intensif”, “dans des bâtiments surpeuplés, sur du béton nu, sans jamais pouvoir sortir” et de ce qu’“à la naissance, les porcelets sont mutilés”, “dents et queues coupées, castrées à vif” ;
Selon le Tribunal, dans cette affaire, la faute alléguée n’apparaît pas établie, compte tenu de la teneur des propos, de la base factuelle alléguée en défense et du contexte de publication, s’agissant d’un sujet d’intérêt général donnant lieu à de nombreux débats publics. »

(Tribunal de grande instance de Paris, 17e chambre presse – civile, 7 février 2018, n° 16/16159)

En revanche, l’excuse de bonne foi est rejetée lorsque le dénigrement ne repose pas sur une base factuelle suffisante.

Dans une affaire, la Cour de cassation a ainsi considéré :

« En statuant ainsi, alors que la divulgation à la clientèle, par l’agent commercial, d’une action en contrefaçon n’ayant pas donné lieu à une décision de justice, dépourvue de base factuelle suffisante en ce qu’elle ne repose que sur le seul acte de poursuite engagé par le titulaire des droits, constitue un dénigrement fautif, l’arrêt a violé les articles 1382 (devenu 1240) du Code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
(Cour de cassation, 9 janvier 2019, n° X/2017/18350)

 

• Peu importe que les propos soient ou non exacts

Les magistrats doivent rechercher s’il existe une « base factuelle suffisante », et non si les propos sont exacts.
La Cour de cassation a en effet rappelé qu’il était indifférent, pour l’appréciation d’actes de dénigrement, que les faits reprochés soient exacts.

La divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent constitue un dénigrement, peu important qu’elle soit exacte.

(Cass. com., 24 sept. 2013, n° 12-19.790)

Il en résulte que le juge, saisi d’une action en concurrence déloyale fondée sur des actes de dénigrement, ne doit pas s’interroger sur le caractère exact, ou non, des propos tenus mais doit se limiter à rechercher si :

« L’allégation litigieuse n’était pas constitutive d’un dénigrement fautif, de nature à jeter le discrédit » sur l’entreprise demanderesse.

(Com 28 septembre 2010 n°09-15583)

Néanmoins si les faits sont exacts, le dénigrement peut être rejeté.

« Il importe peu que l’information, dont la divulgation est de nature à jeter le discrédit sur un concurrent, soit exacte.
En l’espèce, pour démontrer la pratique de dénigrement, seules peuvent être retenues les quatre attestations versées aux débats ». […]

« En premier lieu, les attestations de M. Y et de Mme Z sont à considérer avec circonspection, compte tenu des liens plus ou moins directs avec les sociétés ECC.
En deuxième lieu, les téléopérateurs dont les propos sont rapportés dans les attestations, n’ont fait que relater un fait objectif, selon lequel l’usage de capsules concurrentes a pour effet potentiel d’endommager la machine Nespresso et exclut la garantie. Il est exact que du fait des modifications techniques opérées sur les machines Nespresso, l’usage de capsules concurrentes était rendu à chaque fois plus difficile et nécessitait de la part des fabricants concurrents de réadapter leur modèle de capsules pour qu’elles soient compatibles. Les propos tenus ne sont nullement dénigrants.

(Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 4, 10 mai 2017, n° 14/13330)

 

• La parodie, la caricature

Il n’y a pas de dénigrement également an cas de parodie, ou de caricature.

L’émission « Les guignols de l’information » a été considérée comme ne comportant pas de dénigrement, dans la mesure où, d’une part, les actes incriminés relevaient de la parodie ; d’autre part, ils ne visaient pas un concurrent (Reims, 9 févr. 1999, Peugeot c/Canal Plus).

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation opina dans le même sens, en relevant que les propos mettant en cause les véhicules d’une marque s’inscrivaient dans une émission satirique, et ne pouvaient pas être dissociés de la caricature faite de son Président, de sorte qu’ils relevaient de la liberté d’expression, et alors qu’il n’y avait aucun risque de confusion entre la réalité, et l’œuvre satirique (Cass., Ass. plén., 12 juill. 2000, no 99-19.004).

 

• Dénigrement et intermédiaires

Le dénigrement peut être invoqué non seulement contre leurs auteurs mais aussi contre les intermédiaires, tel que les hébergeurs ou les moteurs de recherche.

L’intermédiaire peut être condamné selon que les propos sont ou non dénigrants :

  • Tribunal de commerce d’Aix-en-Provence, 18 septembre 2017, n° 2017007224

Dans cette affaire, la société LE ROVE AUTOMOBILES a assigné GOOGLE FRANCE devant le Président du Tribunal de Commerce d’Aix en Provence statuant en matière de référés pour que soit ordonnée la suppression d’avis sur sa fiche Google My Business GMB.

Le Président, saisi en référé, considère que ne sont pas dénigrants les avis suivants :

« Ce sont des voleurs et des arnaqueurs », l’auteur de l’avis explique les raisons de son mécontentement en invoquant une erreur de diagnostic ayant entraîné une tentative de facturation jugée excessive ;
Ces appréciations, même si elles sont excessives, ne dépassent pas les limites de la liberté d’expression d’un client mécontent ;
Attendu, au surplus, que LE ROVE AUTOMOBILES a répliqué sur sa « Fiche Entreprise » en affirmant que cet avis était un faux avis formulé par un jaloux voulant faire parler de lui ;
Attendu que cet avis ne nous paraît pas causer à LE ROVE AUTOMOBILES un trouble manifestement illicite et qu’il convient de rejeter sa demande de suppression;
« Pas sérieux, voleur, arnaqueur, retard dans les services, note épicé non prévue, personnel désagréable » précise les raisons du mécontentement de son auteur et ne nous paraît pas dépasser les limites de la liberté d’expression d’un client mécontent ; Attendu que cet avis ne nous paraît pas causer à LE ROVE AUTOMOBILES un trouble manifestement illicite et qu’il convient de rejeter sa demande de suppression ;

  • Dans une autre affaire concernant Google My business, la Cour d’appel a considéré que n’était pas dénigrants les avis suivants :

• « Homme désagréable, hautain, antipathique, pas à l’écoute ni disponible pour le patient, il donne l’impression qu’il a qu’une envie c’est qu’on lui donne son argent et qu’on s’en aille, ça doit être un bon chirurgien mais aucune envie d’être opérer par un homme comme lui ».
• « Il est réputé très hautain et expéditif. J’ai été choquée qu’il me demande de régler avant les injections comme si j’allais m’envoler. Je comptais faire une augmentation mammaire avec lui mais hors de question. Pas du tout à mon écoute, expéditif. Il parlait surtout du prix et me regardais à peine ».
• « Il efface les questions qui lui conviennent pas sur son site web. C’est pas digne de confiance».

Cour d’appel de Paris, pôle 1 – ch. 8, arrêt du 22 mars 2019

 

 

Arnaud DIMEGLIO

Avocat à la Cour, Docteur en droit, Titulaire des mentions de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, droit des nouvelles technologies, droit de l’informatique et de la communication.
Bureau principal : 8 place St. Côme, 34000 Montpellier,

Bureau secondaire : 10 avenue de l’Opéra, 75001 Paris,
Tel : 04.99.61.04.69, Fax : 04.99.61.08.26

http://www.dimeglio-avocat.com

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