L’affaire Charlie Hebdo

Suite à l’affaire tragique de Charlie Hebdo, nous avons voulu rappeler l’arrêt, très pédagogique, rendu en 2008 par la Cour d’appel de Paris, concernant les caricatures de Mahomet.

Le 30 septembre 2005, un quotidien local danois, le Jyllands-Posten, publie 12 dessins intitulés « Les visages de Mahomet », caricaturant Mahomet.

Ces caricatures ont été dessinées, en réponse à un écrivain se plaignant que depuis l’assassinat du cinéaste Theo Van Gogh par des islamistes, aucun dessinateur n’ose illustrer son ouvrage sur le Prophète.

Ayant défrayé la chronique, ces caricatures ont fait l’objet de nombreuses protestations, et notamment de la part des imams danois. Dès lors, l’association islamique danoise charge un imam d’aller sensibiliser les pays arabes. Les caricaturistes danois et leur rédacteur en chef reçoivent des menaces de mort, et l’affaire prend une dimension internationale.

Mais certains ont vu dans ces protestations une tentative d’augmenter l’autocensure pratiquée par des pays européens à propos de l’islam. En réponse à cela, France Soir publie le 1er février 2006 les caricatures danoises en question, ce qui a entraîné le licenciement de son directeur de publication.

A son tour, Charlie Hebdo publie la série de caricatures de Mahomet du journal Jyllands-Posten, la une comportant un dessin de Cabu intitulé « Mahomet débordé par les intégristes ».

Une polémique s’ensuit entre les partisans de la liberté de presse pour lesquels Charlie vise une croyance, une religion ; et ceux estimant que le journal est trop provoquant et pensant que Charlie glisse vers une forme de racisme.

Luz explique alors « Quand c’est Charlie Hebdo, la critique ne porte pas sur les musulmans mais sur l’aliénation dans la foi ».

Jul affirme quant à lui « Si l’hystérie provoquée par ces dessins est aussi forte, c’est aussi parce qu’il y a un racisme anti-arabe et anti-musulman en Europe. Mais je trouve totalement anormal que cette affaire ne se soit pas simplement réglée devant les tribunaux ».

Des organisations musulmanes françaises comme le Conseil français du culte musulman, ont alors demandé devant le Tribunal de Paris, l’interdiction du numéro contenant des caricatures de Mahomet dessinées par les collaborateurs réguliers du journal. Certaines demandes n’ont pas abouti à cause d’un vice de procédure.

Se fondant sur l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) a engagé une procédure à l’encontre de Charlie Hebdo pour « injures publiques à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur religion », et ce à l’encontre de trois dessins.

Le premier dessin, en couverture de Charlie Hebdo, représente « Mahomet débordé par les intégristes » déclarant que « c’est dur d’être aimé par des cons ». Le second représente le prophète accueillant des terroristes martyrs en leur annonçant « arrêtez, nous n’avons plus de vierges ! ». Le troisième dessin représente le prophète coiffé d’un turban en forme de bombe à la mèche allumée.

Les magistrats ont jugé que les deux premiers dessins concernaient non l’ensemble des Musulmans, mais seulement les intégristes, ceux qui utilisent leur religion pour justifier l’emploi de la violence et la commission d’actes terroristes. Ces deux premiers dessins sont donc insusceptibles de tomber sous le coup de la loi, faute de viser l’ensemble de ceux qui pratiquent l’Islam.

Concernant la troisième caricature, dans son arrêt du 12 mars 2008, la Cour affirme que « si elle peut choquer et susciter l’émoi (…), elle ne peut être comprise qu’à la lumière de l’ensemble du contenu du journal qui porte un regard critique non pas sur la communauté musulmane mais sur certains de ses membres qui, au nom de l’islam, pratiquent des actes terroristes à répétition ; en effet, dès la page de couverture, CHARLIE HEBDO donne le ton en stigmatisant les intégristes par son titre et par l’image de la désolation qu’ils provoquent chez le prophète de l’islam, puis, tout au long des nombreux articles de réflexion et des dessins ou caricatures qui traitent du prophète comme des « dieux juif, chrétien, et musulman », ce même journal souligne, avec son esprit satirique bien connu mais de manière argumentée, le danger des fanatismes religieux, de l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques et des atteintes à la liberté d’expression ».

Dans le cadre de cette affaire, les magistrats considèrent que « la liberté d’expression vaut pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes dans une société déterminée, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent, ainsi que l’exigent les principes de pluralisme et de tolérance qui s’imposent particulièrement à une époque caractérisée par la coexistence de nombreuses croyances et confessions au sein d’une même nation ».

Ces juridictions rappellent le principe selon lequel, en France, dans une société laïque et pluraliste, « le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions, quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse, le blasphème n’étant pas réprimé ».

La Cour regroupe donc, au nom de ces principes, les trois caricatures dans la même argumentation et considère que celles-ci visent une fraction, et non l’ensemble de la communauté musulmane.

Surtout, précise la Cour, ces dessins dénoncent l’intégrisme religieux, et non la religion musulmane dans son ensemble. Elle considère donc qu’il n’y a pas eu d’abus dans la liberté d’expression.

Rappelons en effet, et pour conclure, que la liberté d’expression n’est pas absolue, et que selon l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

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